La transmission et l’enseignement des musiques de tradition orale

Contribution FAMDT Modal 2025

Michel Lebreton

Introduction

Ce texte s’appuie sur des constats concernant l’évolution des pratiques musicales ainsi que des aspirations afférentes portées par les citoyens d’aujourd’hui. Il est très (trop ?) synthétique et mériterait de nombreux développements informés. Son objectif est de partir de ces deux constats pour poser les choix de formation musicale qui en découlent. Et de constater que les pratiques des musiques traditionnelles sont en concordance avec ces objectifs. Et qu’elles participent, déjà en de nombreux endroits, à cet élan émancipateur en phase avec l’évolution de la société : jouer pour apprendre, expérimenter pour s’exprimer, coconstruire pour créer, inventer ensemble.

1- Ce qui est « musique » aujourd’hui

Depuis maintenant 70 ans :

  • La musique se décline en des genres de plus en plus multiples ;
  • Les moyens de la produire ont suivi le même chemin par des innovations en lutherie, l’électrification et la numérisation ;
  • Les moyens de la diffuser touchent désormais la planète par le streaming, les vidéos… et plus localement de nombreuses salles et festivals… ;
  • Les pratiques conjuguent interprétation, création, improvisation, inventions de toutes sortes ;
  • Le groupe est la forme la plus répandue dans ce que l’on nomme en France « Musiques Actuelles ». Les musiciens « Classique à Contemporain » sont désormais en recherche de ce genre de pratique : vivre, partager des expériences, coconstruire un univers musical, se réaliser par la présence et la force des autres.

Les désirs d’apprentissages se nourrissent de cette mosaïque, chacun y faisant « son marché » au gré de son histoire, ses goûts, son capital culturel, ses engagements… mais aussi de ses moyens ou de ceux de son lieu de formation.

Nombreux sont celles et ceux qui cherchent alors un lieu d’apprentissage qui corresponde peu ou prou aux projections, aux représentations qu’elles – ils ont élaborées. Ou, à minima, au choc émotionnel vécu lors de la découverte sonore d’un instrument.

2- Quel lieu pour quelles pratiques ?

Si nous tentons une description d’un lieu de formation lambda répondant à ces réalités contemporaines, il devrait :

  • Être une Maison des Musiques offrant un choix de disciplines variées liées pour partie au territoire du lieu, aux populations du lieu ;
  • Encourageant la pratique de démarches collaboratives entre :
    • Enseignants et apprenants ;
    • Enseignants ;
    • Apprenants ;
    • Lieu de formation et acteurs culturels du territoire et au-delà.
  • Ainsi que le développement de projets mettant chacun, y compris et surtout les apprenants, en conscience de « faire le monde » : découvrir l’autre et se découvrir dans un même élan ;
  • Et proposer une variété d’outils permettant de pratiquer en se nourrissant aux sources : enregistrements audio, vidéo ; partitions papier ; outils numériques ; rencontres avec des praticiens ; collectages…

3- Formation à des pratiques émancipatrices

Ces objectifs nécessitent des démarches adaptées dont voici les principales :

  • Développer le goût du son par une démarche d’exploration, de tâtonnement expérimental s’appuyant d’abord sur l’écoute par le corps, l’auralité ;
  • Encourager les expérimentations collectives faisant appel à l’imagination mise au service d’un travail en groupe ;
  • Accompagner les apprenants dans la recherche d’une organisation collective nourrie des points précédents et suivants ;
  • Associer apprentissage instrumental, chant/voix et danse/mouvement afin de développer conjointement technique, ressenti et expression ;
  • Y associer de même la découverte des sources par leurs exploitations et leurs contextualisations au sein des projets ;
  • S’appuyer dès la 1ere année sur des jeux d’improvisation afin que les apprenants se sentent autorisés à explorer, écouter, proposer des idées, essayer librement des sons, faire des suggestions musicales, composer ou encore échanger avec les autres ;
  • Travailler donc dans le cadre d’une pédagogie de groupe ;
  • Construire son enseignement dans une optique démocratique et émancipatrice.

Notons que le cours individuel trouve toujours sa place pour peu que ses objectifs soient complémentaires avec les points ci-dessus. N’oublions pas que le face à face professeur élève est fondamentalement inégal, le premier ayant une emprise inévitable sur le second, même si « le prof est sympa ! ». Trop axer la formation sur le cours individuel ou sur un orchestre aux ordres rentre donc en contradiction avec les objectifs ci-dessus.

4- Et la pratique des musiques de tradition orale ?

Le tableau brossé ci-dessus est à la fois cohérent avec :

  • L’évolution de la société vers davantage d’émancipation ;
  • La nécessité de mettre l’enseignement en phase avec ces évolutions ;
  • La majorité des pratiques musicales contemporaines ;
  • La richesse des pratiques des musiques de traditions orales collectées au fil du temps.

On peut en déduire que la pratique contemporaine des musiques de tradition orale, telle que transparaissant dans le projet de transmission ci-dessus, peut être en phase avec les aspirations de notre époque. Et en phase avec le projet global de formation tel qu’il est esquissé dans ce texte. Projet auquel ces pratiques musicales peuvent donc apporter leur pierre. Encore faut-il que les acteurs en expriment la volonté et puissent la mette en œuvre.

5- Pratiques d’abord

J’insiste sur l’angle d’approche par les pratiques parce qu’il permet de faire se rencontrer des musiciens de tous bords dans un objectif commun. Ils viennent évidemment avec leurs disciplines, leurs répertoires, leurs cultures, leurs amours musicaux mais ils les mettent en jeu dans un projet qui les englobe tous. Dès lors, les prééminences s’estompent, les jugements de valeur se relativisent, l’écoute émerge, attention et respect s’ensuivent, le plaisir peut se faire jour. Les pratiques de chacun s’éclairent des pratiques des autres.

6- Et la suite ?

Ce tableau vite brossé est une projection sur des développements qui participent de l’évolution inévitable des écoles de musique (institutionnelles comme associatives) et conservatoires. En effet, si les inscriptions restent importantes dans ces structures, les désaffections dans les quatre premières années ne le sont pas moins. En tout cas dans les lieux qui restent attachés, in fine, à former de potentiels professionnels ou des amateurs mais selon les mêmes catégories. A savoir, former un technicien du meilleur niveau apte à se produire en public. Or, si la formation technique et la capacité de jouer sur scène sont des objectifs qui ont leur place, nous avons vu ci-dessus que ces seules pratiques font l’impasse sur une visée émancipatrice de la formation : expérimenter, s’exprimer, échanger, inventer, seul et en groupe (qui n’est pas un ensemble !), se projeter dans des projets ouverts entre partenaires et sur le territoire, laisser davantage de place aux catégories populaires qui se reconnaissent moins que d’autres dans l’image traditionnelle du « Conservatoire », « Temple de la musique classique ».

Je terminerai sur ce texte de présentation des Journées d’étude 2025 de Conservatoires de France[1]

Aller vers, accueillir : la diversité au cœur de l’établissement d’enseignement artistique

« Le conservatoire, ce n’est pas pour moi ! »

Partons de ce constat simple : les politiques publiques de la culture, pourtant fondées sur des principes d’éducation et d’émancipation, produisent des effets de domination et d’exclusion*

Cependant, partout en France, des acteurs culturels, des artistes et des équipes pédagogiques s’engagent pour conjuguer de manière concrète les diversités et faire place au plurilinguisme culturel.  Les expériences de ces hospitalités ne manquent pas !

A travers l’analyse de leur processus de fabrication, leur fondement théorique, les questions qu’elles soulèvent, les journées d’étude 2025 de Conservatoires de France proposent de mettre en débat les conditions de ce double mouvement : Aller vers, accueillir … comme autant de formes de connaissance et de reconnaissance de l’altérité et du métissage au sein des établissements d’enseignement artistique.

*Fabrice Raffin, maître de conférences en sociologie, « Les politiques culturelles, déconnectées, excluent trop souvent les catégories populaires » observatoire des inégalités.

Le débat est ouvert…

Michel Lebreton

Ex coordinateur du département de musiques traditionnelles du CRD de Calais


http://leschantsdecornemuse.fr/enseignement.html : La transmission et l’enseignement des musiques de tradition orale

[1] https://conservatoires-de-france.com/journees-detudes-2025-aller-vers-accueillir-la-diversite-au-coeur-de-letablissement-denseignement-artistique/

Les collecteurs au 19ème siècle 

Le regard des lettrés sur le folklore du domaine français

Vidéo Conférence Débats pour mieux connaitre ceux qui nous ont précédé, ont ouvert des chemins, ont laissé des empreintes qui marquent encore le présent.

Onomatopées et mots à moudre

Le plaisir d’explorer et d’apprendre en collectif

Voici quelques exemples enregistrés lors de journées de formation avec des enseignants en conservatoire. Il s’agit à chaque fois d’une journée de 6h00 (voir PDF en fin d’article) pendant laquelle nous abordons chants à danser en rond, chants par onomatopées, mots à moudre… le tout dans le but de s’imprégner de pulsations et de rythmes par la voix, le corps ; par le chant et la danse.

1- Trois exemples de premières réalisations. Chaque petit groupe danse en rond sur un pas de branle double et chante par onomatopées sur la pulsation du pas.

Dans ce 3e exemple, les participants lâchent davantage la bride et musicalisent les onomatopées. Ils terminent par des claquements de mains, toujours en dansant.

2- Deux exemples de réalisations en deux groupes. Un groupe danse et chante par onomatopées en QR. L’autre groupe chante en mots à moudre une interprétation du début de la fable « le corbeau et le renard ».

Dans le second exemple, après l’exposition tutti d’une phrase refrain, chaque danseur interprète en solo une cellule d’onomatopées de son choix en musicalisant en fonction du ressenti lié à l’écoute des productions sonores de l’autre groupe. Puis le groupe termine en tutti sur la phrase exposée une fois au début. L’autre groupe a choisi le début du texte :

Accro de la manette, joueur du dimanche, Chasseur de perles méconnues, Ou nostalgique des gros pixels de l’enfance ?

Le Monde, N° du 26 novembre 2018

3- Un groupe danse et interprète sa composition sur « Maitre corbeau ». Un début de jeu de rôle apparait par des questions doublées de mimiques.

4- Deux exemples d’interprétations de polyrythmies écrites puis lues avec les cartes d’onomatopées.

Voici les présentations de ces formations :

ONOMATOPÉES : la voix du rythme

Michel Lebreton

Département de musiques traditionnelles

CRD DE CALAIS

 

Enseignant essentiellement des musiques à danser du Centre France, je me suis posé la question d’une vocalisation du rythme afin que l’apprenant puisse s’en imprégner, s’en jouer, se saisir de formules simples ou complexes, improviser et créer en utilisant les multiples facettes expressives de la voix. Ces cellules rythmiques ainsi phrasées peuvent nourrir le jeu instrumental au plus près du ressenti du musicien.

De nombreuses traditions ont développé des chants d’apprentissages rythmiques par onomatopées mais je souhaitais proposer un système qui puisse faire le lien avec l’écriture solfègique et donc des ponts avec les musiciens pratiquants la lecture. Je devais découvrir par la suite que ces onomatopées permettent de faire le pont avec l’écriture pour des non lecteurs.

Je me suis d’abord penché sur les rythmes à pulsation par division binaire, la pulsation pouvant être indifféremment la noire, la blanche… J’ai conservé le « DOUM » des percussionnistes qui marque la pulsation, le « posé ». J’ai ensuite cherché trois onomatopées pour signifier quatre doubles croches, ce qui a donné in fine :

DOUM Hé Ké Ti

Ces quatre sons peuvent se combiner pour obtenir les cellules suivantes :

Onomatopées tableau 1

Chaque onomatopée renvoie à une place unique dans cette cellule binaire. Elle peut également renvoyer (sans que cela soit une obligation) à une écriture solfègique :

onomatopées binaires 1

 

Il est de la plus grande importance d’interpréter ces rythmes, de les accentuer, d’en moduler l’intensité, de tirer certains sons en fonction des danses abordées, bref de faire du chant, de la musique et de ne surtout pas les ânonner comme un exercice dévitalisé.  Le chant permet  d’ailleurs d’exprimer des subtilités rythmiques que l’écriture ne peut rendre, ce qui mène à interroger concrètement le rapport entre la représentation du son et  la production sonore.

Il est enfin indispensable de les chanter en battant une pulsation, avec les mains, avec une percussion, avec les pieds, en dansant des doubles (j’y reviendrai une autre fois)… bref par tous les moyens corporels qui vous paraitront adéquats.

J’ai rapidement complété cette famille avec ces onomatopées pour pulsation ternaire :

onomatopées ternaires 1

 

La cellule DOUM  Na  Ma est devenue triolet dans la famille des pulsations à division binaire :

triolet

 

Je propose les onomatopées suivantes pour les mesures ternaires avec division binaire de la pulsation (valses, mazurkas notamment) :

onomatopées valse

 

La différenciation entre valse et mazurka se fait par le phrasé vocal et l’intonation, avec les mêmes onomatopées.

Il ressort de ces choix que chaque famille de rythmes dont j’ai l’usage est associée à une famille d’onomatopées qui permet de les personnaliser et donc de les différencier. ATTENTION de bien battre les trois temps pour les mesures en 3/4 ou 3/8 au risque de créer la confusion avec les mesures en 6/8.

L’un des intérêts supplémentaire de ce réservoir d’onomatopées m’est apparu peu à peu : il permet de s’approprier des rythmes délicats à saisir à l’oreille ou à déchiffrer sur une partition. En voici quelques exemples :

rythmes difficiles 1

 

rythmes difficiles 2

 

Ce qui paraissait obscur pour un apprenant se concrétise, devient charnel, fait corps entre sensibilité et entendement : je comprends ce que je ressens et cela me guide dans ma production.

Pédagogie de l’onomatopée :

Sous ce titre plutôt incongru, je désire vous faire part des démarches d’enseignement que j’ai pu mettre en place avec ce répertoire. Je propose ces situations en ateliers de pratiques collectives. Les élans donnés par le groupe, le partage d’un univers sonore en construction, les respirations collectives sont en effet indispensables à l’émergence d’une vie musicale.

Nous nous installons généralement en cercle et prenons ensemble une pulsation battue aux mains (parfois en dansant des doubles). J’insiste à ce stade sur la qualité du geste : bien percuter avec les paumes des deux mains collées entre elles (sans pour autant chercher une intensité forte) et bien ouvrir les deux bras entre chaque percussion (sans être raides). Je propose ainsi de mieux ressentir le « posé » de la pulsation et le « levé » entre deux. Le rapport à la danse et au jeu pour la danse s’en trouvera mieux nourri. Le tempo de départ, pour la pulsation binaire, tourne autour de 70.

Je commence par les règles bien connues de Questions – Réponses de phrases de quatre pulsations (avant de passer à des carrures autres dont des carrures impaires), de passages de relais sur le cercle. Il s’agit là de découvrir le répertoire d’onomatopées et de le partager. Il faut d’emblée le proposer comme matière musicale, jouant sur des timbres variés, des jeux d’intensités, de hauteurs… qui font que l’on chante en utilisant des ressources vocales expressives.

Au fil des séances, chacun est appelé à proposer des phrases, prenant ainsi ma place. Lorsqu’un vocabulaire de base est maitrisé (par exemple, pour les débutants DOUM ; DOUM Hé Ké Ti ; DOUM ké ; DOUM Ké Ti), le groupe se subdivise en autant de sous-groupes de trois à quatre participants. Ils se retrouvent en autonomie avec pour objectifs de mettre sur pieds une à plusieurs phrases rythmiques et  de savoir les chanter ensemble en battant la pulsation. Tous se rassemblent ensuite et présentent aux autres leurs productions. Une écoute analytique est demandée aux auditeurs : les musiciens sont ils bien synchronisés, la battue et le « DOUM » sont ils bien concomitants, le tempo est il bien régulier… ? J’interviens généralement pour proposer des éléments de dynamique vocale (accents, timbres, intensités…) afin de mettre en musique ce qui est souvent, dans les premiers temps, trop linéaire.

Nous pouvons par ailleurs chercher le rythme par onomatopées d’une mélodie déjà connue sur l’instrument. Mais également reproduire une cellule rythmique sur une percussion. Ou mettre en place des polyrythmies vocales à deux ou trois voix. Les exploitations sont variées et peuvent s’adapter à différents moments de la formation.

Le cotillon vert / scottish valse:

Des jeux d’écritures sont également possibles. J’attends généralement plusieurs mois de pratique orale avant de les utiliser. Je propose une série de cartons imprimés. En voici quelques exemples :

cartons onomatopées 1

 

cartons onomatopées 2

 

cartons onomatopées 3

 

Les cartons sont d’abord utilisés sans référence au solfège afin de ne pas mêler  des informations de nature différente (la représentation phonétique du son chanté ; sa représentation solfègique). Les cases grises représentent des silences.  J’en assemble quelques uns et demande d’interpréter ce qui est représenté, le tout en battant une pulsation. Je dispose ensuite les mêmes cartons dans un ordre différent. Des jeux de créations sont proposés en petits groupes, chaque groupe disposant du même jeu de cartons et devant créer et interpréter une phrase. Là aussi les adaptations sont multiples.

J’utilise les cartons avec solfège comme une traduction codée du chant par onomatopée dans un but d’apprentissage de l’écriture – lecture. Après création et interprétation d’une phrase rythmique, les apprenants doivent la recopier sur la portée d’un logiciel d’écriture musicale et vérifier à l’écoute s’il n’y a pas eu d’erreurs. Je leurs propose également de trouver par le chant la phrase rythmique d’une mélodie déjà connue sur l’instrument puis de la recopier sur ordinateur. J’ai peu développé cet aspect par manque de temps, préférant privilégier l’approche sensorielle. J’ai cependant constaté de rapides avancées dans la compréhension de la portée et de la représentation des durées.

D’autres utilisations sont possibles, notamment en dansant en rond. Mais l’important est de proposer un apprentissage sensoriel et collectif du rythme. Cette démarche participe de fait des nombreuses propositions autour de la rythmique corporelle et dépasse le seul domaine des musiques traditionnelles pour s’insérer dans une formation musicale plus globale.

Exemple de polyrythmie improvisée sur ostinato dans un atelier de pratiques collectives:

Et vous, quelles techniques corporelles employez-vous ? Quelle pédagogie mettez-vous en œuvre pour créer des situations d’apprentissage sensoriel par l’expérimentation ? N’hésitez pas à m’envoyer vos témoignages qui pourraient avoir leur place sur ce blog.

Michel Lebreton