Être musicien aujourd’hui demande de multiples compétences :
Savoir interpréter ;
Savoir improviser ;
Savoir créer ;
Savoir jouer en orchestre ;
Savoir jouer en groupe ;
Savoir se placer sur une scène, se déplacer ;
Savoir travailler avec un microphone, la lumière ;
Savoir utiliser les possibilités d’Internet ;
…
Et bien sûr maitriser au mieux sa spécialité tout en sachant aller à la rencontre d’autres esthétiques, d’autres pratiques. Et savoir créer ou participer à des projets collectifs, sur son lieu de vie et au-delà.
Le métier évolue de plus en plus vers ce profil à la fois passionnant et complexe. L’enseignant doit donc prendre en compte cette réalité et mettre en place une formation adaptée. Celle-ci visera à former un musicien :
Autonome car capable de prendre en main des situations variées, de nouveaux apprentissages ;
Emancipé car capable de faire des choix artistiques et humains en toute conscience.
L’enseignant transmet sa spécialité et par ailleurs propose des situations pédagogiques permettant à l’élève d’exercer son autonomie, d’apprendre à apprendre.
Suite à plusieurs formations aux improvisations, j’ai décidé d’intégrer ces expériences dans mes cours. J’ai eu la chance de pratiquer l’improvisation libre (ou générative) avec Alain Savouret, compositeur et pédagogue[1] ainsi que l’improvisation sur basse obstinée avec Christine, ma collègue en musiques anciennes et l’improvisation sur grille harmonique avec Olivier, mon collègue en jazz, tous les deux du conservatoire où je travaillais.
Je ne suis pas un spécialiste de ces improvisations mais je les pratique suffisamment pour proposer des règles de jeu ouvertes aux élèves : après s’être exercés, je leurs propose une règle de jeu de départ et un objectif qu’ils doivent réaliser en autonomie. A eux de mettre cela en place collectivement. Je m’absente parfois de la salle pendant 10 à 15 minutes afin qu’ils fassent des essais. Je reviens régulièrement pour aider si c’est nécessaire. Je leurs demande aussi de travailler en deux ou trois groupes sur la même règle de jeu puis de se présenter leurs réalisations à l’un l’autre et d’en discuter.
Les cours se sont transformés peu à peu en ateliers, lieux remplis d’outils et de matières issus en partie des expériences de chacun et du travail collectif de tous.
Les objectifs généraux que je cherche à développer ainsi sont de former un musicien autonome et émancipé comme précisé dans la première moitié de l’article. C’est un chantier qui n’est jamais terminé 😉
Je vous propose quelques exemples vidéos ou sonores pour tenter d’illustrer cela.
(Ces vidéos sont déjà présentes sur le site mais elles sont réunies autour du thème de cet article.)
Les deux vidéos qui suivent s’inscrivent dans le cadre d’une formation de trois jours étalés sur l’année universitaire. J’ai proposé différentes formes d’improvisations appliquées aux musiques traditionnelles du domaine français. Cette formation s’est déroulée au Pôle Aliénor de Poitiers auprès d’étudiants pratiquant les musiques traditionnelles. https://www.polealienor.eu/
Les deux exemples présentés ici sont des danses du Limousin et du Berry. Un texte de Jean-François VROD éclaire la problématique entre « le jeu des mélodies traditionnelles et l’improvisation… (qui ouvre à) …un va et vient permanent, dynamique et générateur. »
Univers d’improvisations
Je me positionne dans l’exploration de pistes s’appuyant sur la mélodie, ses mouvements, élans, détentes, attractions… et l’espace de ses bourdons. Tout ceci dans leurs développements propres, selon les traditions et les interprètes. Je pratique également les improvisations libre et sur grille en fonction des champs musicaux que je souhaite développer. Ces différents modes d’improvisations peuvent se compléter à loisir.
Les trois journées de formation se sont recentrées sur les points suivants :
Le soliste improvisant :
Par paraphrase : dans la suite des mouvements de la mélodie ou en inverse ;
En dévoilant le mode par incises extraites de la mélodie : en partant du grave ou de l’aigu de l’échelle ;
En s’appuyant sur une formule mélodique du thème qui peut servir à la fois de départ des improvisations et de refrain ;
En s’appuyant sur les 2 bourdons, tenus ou rythmiques ;
En explorant des jeux d’improvisations libres;
En pratiquant un mix de certains éléments ci-dessus.
(Voir mes miniatures sonores pour des exemples complémentaires: https://www.youtube.com/watch?v=MHFSvR_yhm4&list=PLFPlAuhDFdpUMhwxFAngIxWtMz7kDKQ6T )
Le groupe improvisant :
La structure collective : elle découle pour partie des choix ci-dessus avec des variantes qui peuvent s’entrecroiser. Les rapports entre solistes et collectif peuvent s’organiser en QR, au tour par tour, en dialogue, en joute… Le choix est vaste.
Le bourdon vivant : en en faisant une trame vivante, évolutive dans son exposition par improvisation collective.
Mais d’autres pistes sont évidemment possibles, entre improvisation harmonique et improvisation libre qui nous font entrer dans d’autres terrains d’explorations. Si vous souhaitez écouter quelques propositions que j’expose sur YouTube, suivez ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=MHFSvR_yhm4&list=PLFPlAuhDFdpUMhwxFAngIxWtMz7kDKQ6T
Je vous propose par ailleurs à la réflexion cet extrait d’un texte de Jean-François Vrod http://www.cpmdt.fr/variationimprovisation.pdf
oOo
« De la variation mélodique à l’improvisation » Inventaire subjectif de quelques dynamiques musicales pouvant servir de base à une pratique d’improvisation en appui sur les musiques traditionnelles du domaine français par Jean-François Vrod.
Extrait
« Dans le domaine des musiques traditionnelles du domaine français, nous ne trouverons donc pas d’improvisateur au sens où on l’entend aujourd’hui dans le jazz ou les musiques improvisées, c’est à dire un musicien qui élabore l’essentiel de son discours musical en cherchant à se rapprocher le plus possible d’une création ex nihilo. Sachant de plus que l’objectif du musicien traditionnel n’est pas de se distinguer.
Nous ne trouverons pas non plus d’improvisateur du type de ceux que l’on rencontre dans les traditions musicales à développement modal asiatiques ou orientales. Pas de grilles harmoniques, ni de progression modale donc. Et pourtant, nous devons constater que la réalisation de l’objet musical final incombe en grande partie à l’interprète, la culture environnante se chargeant de lui donner les modèles formels
Le système ornementation-variation largement utilisé offre nous l’avons vu avec la définition apportée par Jean During, une première étape d’un geste que l’on peut qualifier d’improvisé.
Si, de plus le musicien est dans une posture mentale que l’on pourrait qualifier « d’ouverte » où il permet que la construction de son discours musical puisse rester modulable en fonction d’un certain nombre d’éléments musicaux, idées, événements, états, qui surviendraient au cours de la performance, alors bien des musiciens traditionnels peuvent être considérés comme improvisateurs.
Il faudrait sans doute pouvoir disposer ici de plusieurs mots pour désigner les différentes postures rencontrées ci-dessus, alors que notre vocabulaire, n’en fournit qu’un.
En résumé, on peut dire que même si on ne peut pas parler d’improvisation au sens où on l’entend aujourd’hui, les musiques traditionnelles offrent des espaces qui peuvent être considérés par les interprètes d’aujourd’hui, comme un préambule à une improvisation plus radicale.
Comme le soulignait un ami compositeur, nous sommes avec les musiques traditionnelles du côté des « musiques à finir ». Entre la posture d’un interprète d’une œuvre écrite qui cherche à se rapprocher par son travail d’une forme d’idéal supposée voulu par le compositeur et celle de celui qui laisse toujours ouverte son interprétation en fonction d’un certain nombre de paramètres, il y a différence, même si à l’écoute des résultats, il y a parfois peu de différences audibles.
Aujourd’hui, chacun jugera et choisira s’il entreprend de « prolonger » les gestes du musicien de tradition orale ou du revivaliste du folk en improvisant à son tour. Ce faisant, il mesurera la subversion de ce geste dans une société où à bien des égards, quoiqu’on en dise, on confisque de plus en plus les possibilités d’expression personnelle.
Même sans avoir lu Guy Debord et sa « Société du spectacle », on peut constater au quotidien combien les modèles de comportement humain tendent de plus en plus à se rapprocher des propositions de la société de consommation qui vise à faire de l’homme un consommateur exclu de sa propre réalité.
Aujourd’hui dans un contexte de transmission de ces musiques, on peut constater combien le fait de redonner la responsabilité du geste musical à son interprète est lourd de sens politique, tant on a éloigné du commun des mortels cette capacité de décision esthétique et fait de l’expression artistique un objet intouchable, simplement bon à consommer.
Au terme de cette conférence, j’aimerais dire qu’il appartient à chaque musicien se réclamant des esthétiques de la tradition orale de décider de quels appuis il a besoin pour construire sa pratique musicale qu’elle soit improvisée ou non.
Le champ des possibles est ouvert et vaste. En ce qui me concerne, c’est bien la pratique intensive de la variation mélodique qui m’a amené à une improvisation plus radicale. Puis c’est l’improvisation qui m’a conduit à mieux comprendre une des caractéristiques fondamentales du musicien traditionnel : L’adaptabilité à des contextes de jeu variés et la fabrication d’une musique en relation avec ces contextes.
Pour moi, il n’y a donc pas d’opposition entre plusieurs gestes qu’on pourrait considérer comme opposés à savoir le jeu des mélodies traditionnelles et l’improvisation, c’est au contraire un va et vient permanent, dynamique et générateur. Comme pour bien d’autres musiciens, l’improvisation est devenue pour moi, à la fois une discipline de découverte de vocabulaire et un processus participant à l’écriture. C’est aussi, disons-le, un moyen de se découvrir comme musicien sachant comme le souligne Jung « Qu’il ne faut ménager ni sa peine ni sa réflexion afin de découvrir ce qu’il y a d’individuel en chacun de nous » et que : « la découverte de l’individualité est incroyablement difficile ».
Exemple 1: La bourrée du Trech (Trad. Limousin)
Mode et structure d’improvisation:
Improvisation sur la partie A (8 mesures 2 fois) : phrase A1 : échelle de do à sol (échelle de la mélodie) / phrase A2 : échelle OUVERTE + bourdons RE – LA ;
Partie B : mélodie à orchestrer en temps réel ;
Les musiciens font vivre un « bourdon vivant » lors des improvisations, c’est-à-dire une trame bourdonnante qui évolue dans son expression et son énergie ;
FINAL : mélodie en groupe.
Exemple 2: La bourrée de Cerbois (trad. Berry)
Mode et structure d’improvisation:
Improvisation par « modulation » et non pas par « tonulation » : faire évoluer la couleur du mode sans modifier les 1er et 5e degrés, donc, la tonalité. Et ce en rendant certaines notes « mobiles » sur des passages de la mélodie.
S’appuyer sur ces repères:
Amener une note mobile en privilégiant le passage par un degré fort, 1er ou 5e ;
Tendre parfois le mouvement sans passer par un degré fort ;
Ne pas produire de chromatismes qui affirment un sentiment tonal et pompier.
Merci aux étudiants qui se sont investis fortement quelles que soient mes propositions. A suivre dans un prochain post…
Entre mi-septembre et fin novembre 2019, je proposais à l’un des ateliers de pratiques collectives, que j’encadrais alors au CRD du Calaisis, de développer des pistes d’inventions musicales en partant de la chanson « En revenant des noces ». Il s’agit de la version collectée auprès de Madame Juliette Péarron en 1960 à Saint-Hilaire-en-Lignières. Cette collecte s’inscrit dans la démarche initiée dès 1946 par les « Thiaulins de Lignières », Groupe d’Arts et Traditions Paysannes fondé par Roger Péarron (photo ci-dessous) https://contact3441.wixsite.com/thiaulins
L’enregistrement a été édité en 1977 par « Le Chant du Monde » dans un disque 33 tours dédié aux collectes en Berry des Thiaulins de Lignières. La direction artistique en a été assurée par Jean-François Dutertre. Vous pouvez en entendre un extrait ici : https://raddo-ethnodoc.com/raddo/discographie/3052
1. Les musiciens
Présentons d’abord le groupe concerné. Ce sont des adultes ayant des
expériences et niveaux de compétences très diversifiés. Certains évoluent dans
les musiques dites « de classique à contemporain », d’autres dans les
« musiques actuelles » en général, d’autres enfin dans les
« musiques traditionnelles » plus spécifiquement.
Certains sont en début ou en fin de cycle 2, d’autres en cycle 3. D’autres
enfin sont hors cycle, ayant terminé un cursus mais continuant à participer aux
ateliers de pratiques collectives.
Les participants sont :
Une
violoniste et une violoncelliste qui jouent par ailleurs en orchestre amateur.
La violoniste s’est inscrite récemment en violon traditionnel et la
violoncelliste pratique également le violoncelle baroque ;
Une
flûtiste traversière qui joue de même en orchestre et harmonie ;
Une
accordéoniste qui interprète des musiques populaires variées ainsi qu’un peu de
jazz ;
Une
harpiste qui joue sur harpe celtique et qui est handicapée partiellement d’une de
ses mains ;
Un
flûtiste serbe qui réside à Calais et a rejoint l’atelier qui lui procure une
occasion de jouer de sa flûte à conduit traditionnelle : une frula ;
Une
cornemusière qui a arrêtée en fin de cycle 1 pour raison de santé et a repris
il y a peu ;
Un
cornemusier qui termine son cycle 2.
Seuls les cornemusiers sont donc en cursus.
L’atelier est hebdomadaire et dure 1 heure. Parallèlement au travail
présenté, nous avons aussi utilisé ce temps pour répéter des airs présentés en
public en décembre.
2. Le projet
J’ai présenté au groupe le projet qui s’articule en quatre objectifs :
Découvrir
la chanson collectée et les actions des Thiaulins de Lignières ;
Explorer
et mettre en place deux règles d’improvisations proposées par mes soins ;
Travailler
collectivement la matière sonore de bourdons afin qu’ils soient vivants,
évolutifs dans leurs densités, leurs grains, leurs dynamiques… Pour cette
notion de « bourdons vivants », je vous renvoie à l’article « Murailles
et lisières traversant le temps et l’espace du conservatoire » et à la
vidéo qui se trouve à la fin http://pedagogie-des-musiques-traditionnelles.fr/?p=310 La même chanson y est source d’invention
collective ;
Chercher
et mettre en place collectivement une interprétation de la mélodie sur les
instruments en y incluant les bourdons et le jeu improvisé. Le chant peut y
avoir une place, mais la tonalité des cornemuses (voix alto) ne le facilite
pas.
C’est donc un projet qui est proche de celui développé avec les étudiants
en CEPI que vous pouvez voir et entendre dans la vidéo indiquée ci-dessus. Mais
il s’agit d’un public amateur qui a des compétences en improvisations moins ou
pas développées.
3. Prise de contact
Nous avons d’abord écouté la chanson. J’ai utilisé le 33 tours sur la
platine dont je disposais depuis peu. L’objet a son importance : il
devient le marqueur d’une époque « autre » et ouverture potentielle
vers un « inconnu ».
Je ne présente jamais auparavant un enregistrement proposé à l’écoute. Je
demande seulement à l’auditoire d’écouter et d’imaginer la personne que l’on
entend, le cadre depuis lequel elle nous transmet sa chanson. A cela s’ajoute la
consigne de s’attacher à l’histoire véhiculée tout du long. C’est donc une
écoute essentiellement subjective qui s’attache à créer un imaginaire, lien
potentiel de contact avec « ces vieux enregistrements qui craquent »
et « ces musiciens qui ne jouent pas très juste ».
Après un échange collectif complété d’informations que je distille au fur
et à mesure, je propose de réécouter cette chanson afin de mieux en saisir le
récit. C’est aussi l’occasion de le mettre en parallèle avec celui de « la
claire fontaine ». Enfin, nous apprenons par cœur le texte des premières strophes
et essayons de les chanter pendant la diffusion du disque. Le but est de
s’attacher aux phrasés, débits, intonations de Mme Piérron. Je ne cherche pas
une reproduction servile mais plutôt une consigne poussant l’écoute plus avant.
Après cette séance, j’envoie par mail le son de la chanson ainsi que les
paroles.
4. Prise de contact 2
La semaine suivante, nous réécoutons la chanson une fois puis je propose de
la chanter dans son intégralité avec Madame Piérron. Celles et ceux qui l’ont
réécouté chez eux entraineront le groupe en avant. Le premier essai se fait
avec le texte en cas de besoin. Les autres essais, au fil des semaines, se font
de mémoire.
Je demande ensuite à être attentif aux finales de chaque strophe. Certains
font la remarque que la durée de la respiration qui suit la dernière note varie
quelque peu selon les strophes. Je demande à ce que nous fixions la durée de
cette note finale afin de pouvoir jouer ensemble. C’est une occasion parmi
d’autres de pointer les libertés rythmiques du jeu soliste que ne permet pas
(ou moins) le jeu collectif. Nous nous arrêtons sur une durée de trois
pulsations.
L’allant de cette chanson étant régulier et vif, elle peut devenir porteuse
de danse. Afin de s’imprégner du rythme et du phrasé, je propose donc de mettre
en place un rond chanté dont je créée les pas en m’inspirant de ceux des
branles de la Renaissance tels que la pratique contemporaine les a remis en
usage à partir de l’interprétation de l’Orchésographie (voir http://www.graner.net/nicolas/arbeau/index.html ). Cela donne un branle coupé comme
suit :
Partie
A : Dg Sd Sg Dd Sg Sd
Partie
B : Dg Dd 2 pieds en
l’air
Il faut lire :
Dg :
double à gauche
Sd :
simple à droite
…
C’est évidemment un choix personnel qui n’engage que moi !
J’ai ensuite proposé de transposer cette mélodie sur les instruments. Le
choix de la hauteur (voir partition) a été dicté par les cornemuses 16 pouces à
bourdons de sol. Je précise que je n’ai donné la partition à aucun moment.
5. Éléments d’analyse
Une fois la mélodie défrichée, il
a fallu commencer la recherche d’une mise en place collective : la
difficulté s’est concentrée sur les fins des deux parties. La tenue des trois
pulsations suivies d’une levée a été délicate à mettre en place comme souvent
lorsque l’on ne tient pas deux ou quatre pulsations. Le chant a aidé à
intérioriser ce passage qui reste cependant à travailler.
J’ai ensuite proposé de repérer
quelques éléments structurels afin de guider nos improvisations :
Nommer la finale, 1er degré du mode
et note de repos (ici SOL) ;
Nommer le 5e degré, degré
d’aimantation (ici RE) ;
Décrire le mouvement mélodique de la 1ere
partie : 1 tierce au-dessus du 5e degré et une tierce au-dessous,
soit :
RE mi fa
RE do sib
On peut noter que ces phrases sont construites
autour du RE et se terminent en suspension sur le 3e degré
(Sib) ;
Décrire le mouvement mélodique de la 2e
partie : descente du 5e vers le 1er degré ;
Enfin, noter qu’il n’y a pas 2e
degré (LA).
Ces éléments sont en quelques
sortes la carte d’identité modale de cette mélodie et c’est en nous
l’appropriant que nous allons structurer nos improvisations.
Nous avons exploré l’architecture
du mouvement de la 1ere partie, tout d’abord en QR entre moi et le groupe. J’ai
donc proposé à ce stade des phrases articulées autour du 5e degré
(RE) en utilisant les deux tierces (RE mi fa / RE do sib) pour construire des
mouvements mélodiques. Chacun a ensuite proposé son mouvement sur la même
règle. Cet espace mélodique sera celui de l’improvisation.
Nous avons enfin écouté et
commenté l’enregistrement réalisé par des musiciens en CEPI sur la même règle.
Cela a été l’occasion de définir comment ils gèrent ensemble les bourdons de 1er
et 5e degrés. http://pedagogie-des-musiques-traditionnelles.fr/?p=310
6. Improvisations
a. Échelle fa mi RE do sib
J’ai proposé de nous entrainer en
produisant une courte improvisation chacun son tour sur le cercle. Dans un
premier temps ces productions se font sans rythme mesuré sur un tempo lent
propre à chacun. Les musiciens produisent au choix un bourdon de 1er
ou 5e degré et ne le quittent qu’au moment de leur solo improvisé.
Nous avons ensuite fait évoluer
la règle vers une improvisation sur un rythme régulier et une carrure de 8
pulsations. Les musiciens se sont d’abord entrainés sur le cercle. Puis j’ai
proposé de créer des duos de leur choix :
Dans chaque duo un musicien A et un musicien
B ;
Le musicien A produit son improvisation sur
une carrure de 8 pulsations ;
Le musicien B enchaine la sienne sur 8
pulsations également ;
Le A rejoue suivi du B ;
Pendant ce temps, les autres musiciens tiennent
les bourdons ;
Le jeu passe au duo suivant.
b. Bourdons
vivants
J’ai proposé par ailleurs de
travailler la matière du bourdon dans le sens d’un BOURDON VIVANT. C’est-à-dire
une masse sonore constituée des 1er et 5e degrés mais
évolutive comme un organisme vivant. Chaque musicien a cherché des variations
d’intensités, d’octaves, de timbres… J’ai indiqué 3 types de placements pour
chacun dans la masse des bourdons :
En arrière-plan par la simple tenue de l’un des
bourdons sur une intensité peu élevée ;
En passant quelques instants en avant-plan par
un crescendo-decrescendo, une brève impulsion… ;
En produisant un court événement qui ressorte du
paysage sonore global.
Tout ceci se fait en réaction de
chacun aux autres musiciens avec comme consigne : être en complémentarité
ou être en rupture.
Ces deux travaux d’improvisations
ont évolué, les musiciens les plus autonomes produisant des phrases et des
événements bourdonnants variés, les autres s’attachant à rester dans le jeu
quitte à produire des paraphrases de la mélodie.
7. La structure
Plusieurs structures proposées
par les musiciens ont été testées. Il fallait organiser ensemble bourdons,
thème, improvisations non mesurées et improvisations mesurées en duo.
Le choix final s’est structuré sur deux parties, deux atmosphères :
1ere partie : rythme libre et lent. Bourdons collectifs. Les improvisations s’enchaînent
aléatoirement. Le 1er soliste, désigné à l’avance, passe le relais à
qui il le souhaite et ainsi de suite ;
Cette
partie se termine par l’exposition du B de la mélodie par l’un des
cornemusiers ;
la mélodie
est interprétée deux fois en tutti.
2e partie : rythme mesuré et tempo de la mélodie.
Bourdons collectifs. Des duos constitués improvisent. Chaque musicien produit
alternativement 2 phrases d’une carrure de 8 pulsations chacune ;
Deux duos
improvisent l’un après l’autre ;
Pont :
des musiciens désignés auparavant exposent la partie B ;
Les deux
autres duos improvisent ;
La mélodie
est reprise deux fois pour terminer. L’orchestration de ce final n’est pas
arrêté.
Voici l’enregistrement commenté
par écrit, le tout sous forme de vidéo. La semaine suivante, nous avons
retravaillé la matière des bourdons, puis avons terminé là notre collaboration.
Attention : il y a malheureusement des parasites dus à un connecteur son défectueux.
8. Reprise de la 1ere partie
L’atelier a refait deux essais uniquement consacrés à la
1ere partie, toujours en se passant le relais par le regard. Des remarques
faites lors de l’audition du filage de la semaine précédente ont mis en avant
la nécessité :
Que chacun prenne le temps d’installer un climat
dans le mode retenu ;
Que les tuilages soient marqués, matérialisant
ainsi le passage de relais et créant une tension entre deux improvisations
solistes ;
Que les bourdons soient plus variés dans leurs
expositions.
Le 1er enregistrement rend compte d’un temps musical lent et habité par des propositions qui se diversifient. Les tuilages manquent encore parfois d’intention, d’affirmation et les bourdons restent trop en retrait tout du long. A l’écoute du final vous entendrez les deux cornemuses perdant le fil de la musique. Le groupe a discuté et proposé de renforcer ce passage : la 1ere cornemuse termine son improvisation en entretenant la pédale de RE pendant que la seconde enchaine le final de la mélodie. Le climat de cette 1ere partie est cependant plus construit collectivement que lors du filage précédent.
Le 2e enregistrement, réalisé après évaluation collective du précédent, nous donne à entendre un ensemble plus à l’écoute et un climat d’une plus grande cohérence par rapport aux trois points ci-dessus.
9. Collecte et invention
Ce projet de musicien (s’imprégner, interpréter, explorer, improviser,
organiser le temps musical) a suscité une grande satisfaction chez les
participants au vu des derniers résultats. Il y a ce sentiment d’exprimer au
mieux ce qu’il y a en chaque individu tout en construisant collectivement.
Pour ma part, j’y ajouterai l’occasion
de partir à la rencontre de sources collectées et de la culture qui les a
portées, tout en les plaçant dans une dynamique d’invention. Il n’est alors
plus question de « ces vieux
enregistrements qui craquent » et de « ces musiciens qui ne jouent
pas très juste ». Mais tout simplement de musiciens du passé qui peuvent
nous passionner et nous émouvoir.