La semaine précédente, nous avons exploré une interprétation de la première phrase du poème « le chat ouvrit les yeux ». Je leurs propose maintenant de mettre en musique les quatre phrases du poème en utilisant les mots à moudre.
La suite dans cette vidéo en deux parties…
Dans les séances suivantes, nous insisterons sur la qualité des productions sonores, la synchronisation entre musiciens, l’engagement corporel et vocal en énergie… Sur tout ce qui fait « musique ». A suivre…
Je commencerai cet article en citant des extraits du livre de François Delalande : « La musique est un jeu d’enfant » »INA-GRM Buchet Chastel 1984
« Qu’est-ce que faire de la musique ? … Je crois qu’il y a essentiellement trois dimensions de la musique qu’on est en mesure de développer. (Page 14)
Le goût du son :
D’abord tout simplement un goût du son – c’est une première qualité du musicien – une certaine sensualité de la sonorité qui s’accompagne d’une habileté à l’obtenir sur un instrument. Car savoir-faire et savoir entendre sont ici une seule même compétence ». (Page 14)
La dimension imaginaire :
Pour (les individus qui se réunissent) eux, les sons prennent un sens, ils peuvent évoquer des états affectifs ou avoir une valeur symbolique dans leur société ou bien donner naissance à des images… il y a une dimension imaginaire de la musique à laquelle il faut être sensible sans quoi la musique, à proprement parler, ne vous dit rien. (Page 14).
L’organisation :
Et enfin, à ces deux niveaux d’analyse, s’en ajoute un troisième, celui de l’organisation. D’abord s’organiser entre musiciens lorsqu’on joue des parties à plusieurs, mais surtout agencer des parties ensemble, se débrouiller pour qu’un thème joué par un instrument soit repris par un autre. (Page 14).
Vous remarquerez que je ne sépare pas, dans cette analyse en trois couches de la pratique musicale, ce qui a trait à la production de musique de ce qui concerne sa réception. Les musiciens, qu’ils fassent ou qu’ils écoutent, ont en commun ces trois grandes capacités d’être sensibles aux sons, d’y trouver une signification et de jouir de leur organisation. (Page 15).
Ces trois points de vue… ne constituent pas une définition de la musique mais des aptitudes du musicien. Je ferai… une distinction essentielle entre savoir la musique et être musicien. Ce sont deux objectifs complètement différents que de transmettre un savoir ou de développer une sensibilité. » (Page 15).
On sera amené à donner une certaine compétence, non pas une connaissance très spécifique d’un système de notation ou d’une technique instrumentale mais une habitude d’écouter plusieurs interventions simultanées, une maitrise du geste, un sens de la forme. Je ne sais pas si c’est tellement un savoir qu’un savoir-faire ou « savoir entendre »…
(À propos de musiciens de cultures différentes) Ce n’est pas le savoir qui les rapproche – au contraire leurs cultures sont complètement différentes – mais c’est leur conduite. On a beaucoup pratiqué unepédagogie exclusive de notre culture musicale, je pense qu’il faut maintenant proposer une pédagogie des conduites. (Page 16). »
J’ai eu la chance de participer plusieurs années de suite à des ateliers d’improvisation libre[1] organisés par l’ENMD de Calais (actuellement CRD du Calaisis) sous l’impulsion de Jean-Robert Lay, alors directeur. Plusieurs intervenants se sont succédés et ont fait éclore des pistes de travail que je parcours encore aujourd’hui. L’un d’entre eux, Alain Savouret, nous a ouvert aux pratiques des « mots à moudre »[2]. J’en parle déjà dans un article de ce blog http://pedagogie-des-musiques-traditionnelles.fr/?p=139 auquel je vous renvoie. Il vous permettra également de mettre la séquence ici présentée dans le contexte plus global de l’atelier CHAM de classe de 6eme que je prenais en charge chaque année. J’ai relié les pratiques des mots à moudre à cette pédagogie des conduites qu’évoque François Delalande : mettre en situation d’expérimentation des musiciens, néophytes ou pas, en leurs ouvrant un large champ de possibles délimités par des règles de jeux élastiques. L’élasticité étant soumise à la seule volonté affirmée et démontrée des participants. Une règle peut évoluer si cette évolution est le fruit d’expérimentations au sein du collectif et que ce dernier se les approprie.
[1] Des musiciens parfois d’horizons stylistiques divers se retrouvent un jour j pour inventer à partir d’un instant t une musique qui sera, ou mieux, ne sera que celle du moment, du lieu, des personnes présentes (actantes ou non). « Enseigner l’improvisation ? Entretien avec Alain Savouret » https://journals.openedition.org/traces/4626
[2] Introduction à un solfège de l’audible : l’improvisation libre comme outil pratique. Alain Savouret. 2010 Ed. Symétrie
2 – Produire, inventer ensemble, faire musique par des conduites communes
2.1 Un vocabulaire commun
Je mets en jeu les mots à moudre dans des séquences d’improvisations nourries d’un premier vocabulaire sonore proposé aux musiciens apprenants. Je les encourage ensuite à proposer leurs propres moutures à la condition qu’ils puissent la reproduire et donc l’engranger dans leur répertoire.
Pour rappel de l’article paru en 2016, je propose d’explorer parmi les possibilités suivantes :
Chuchoté. Bien marquer l’intention et bien articuler ;
Chuchoté avec des durées longues sur les voyelles lorsqu’on le désire;
Parlé libre et lent sans pulsation ;
Parlé libre et rapide sans pulsation ;
Parlé libre avec voyelles longues lorsqu’on le désire;
Attaques abruptes sur débits libres : p, b, t, d, k ;
Attaques molles sur débits libres : m, n ;
Sons complexes, bruiteux : sss, chhh, rrr
Sforzando : contraction dynamique de l’attaque molle ;
Il est important d’être précis dans la production et la reproduction. Ce vocabulaire est le « langage » partagé par tous qui va permettre d’inventer des structures musicales par la suite. Afin d’affirmer la qualité du son dans son enveloppe (forme) et sa masse (matière), je relie systématiquement la production sonore vocale à une gestuelle dynamique, imagée.
2.2 Mise en musique d’un poème
Je propose au groupe un poème de Maurice Carême : le chat et le soleil
Le chat ouvrit les yeux, Le soleil y entra.
Le chat ferma les yeux, Le soleil y resta,
Voilà pourquoi, le soir, Quand le chat se réveille,
J’aperçois dans le noir, Deux morceaux de soleil.
Dans cette première séquence, présentée dans la vidéo qui suit, je demande aux enfants d’interpréter une version déjà fixée de la 1ere proposition (le chat ouvrit les yeux). Cette séquence a pour principal objectif de mettre la qualité nécessaire des performances individuelles au service de la qualité de la réalisation collective. C’est aussi l’occasion d’encourager chacun à exprimer son avis sur la performance réalisée, de faire d’éventuelles propositions… donc de faire en sorte qu’il y ait peu à peu une appropriation des enjeux et de la pièce musicale. Enfin, certains sont plus agités, d’autres plus timides et plus en retrait. Ce type de projet, couplé à des moments de chants à danser et de jeux brise-glace permet, peu à peu, une participation plus partagée avec les autres.
Les enfants devront par la suite inventer, composer une mise en musique du poème entier, puis l’interpréter. Mais c’est une histoire que vous découvrirez au fil des chapitres suivants.
Cet article traitera plus spécifiquement du mémoire dans un cursus en musiques traditionnelles. Mais je pense que sous certains aspects il peut concerner d’autres pratiques.
1. Le cadre
J’ai dû définir ce que j’attendais d’un tel travail lorsqu’un premier élève s’est manifesté pour entreprendre des études longues de 3e cycle et passer son DEM (et plus tard DNOP) ! Enseignant les musiques traditionnelles du Berry et la musette du même nom, j’ai d’abord cherché à mettre en place un travail sur ces univers culturels et musicaux. Très vite, l’éloignement du terrain, Calais est à près de 600 km de Châteauroux, m’a dissuadé de prendre cette voie : je ne pouvais imaginer une telle recherche sans aller rencontrer des acteurs locaux concernés par le sujet d’étude.
Le Berry posait trop de problèmes de distances et donc d’argent. Et ce fût une chance ! Cela m’aida à me décentrer de l’objet « musette ». Ce mémoire ne devait pas être obligatoirement dédié à l’instrument pratiqué par l’étudiant collecteur.
Je repensais à d’anciennes collectes auxquelles j’avais participé. Il m’en était resté des souvenirs de rencontres avec des personnes – des personnages – riches d’expériences, de récits, de pratiques. Des connaissances s’en étaient suivies mais ce sont ces rencontres qui me revenaient d’abord en mémoire. Elles donnaient un fort relief aux savoirs associés. Il me sembla alors qu’il serait primordial à des musiciens apprenants, désireux de se tourner vers une profession de musique, de pouvoir vivre ce bain d’humanité porteur de pratiques de traditions.
Je retenais alors les critères suivants :
Le sujet choisi devait être situé dans la région Nord Pas de Calais (à l’époque) afin de rendre les déplacements possibles, et dans le temps et pour les finances ;
Le sujet choisi devait correspondre à une tradition vivante et partagée par une communauté suffisamment importante pour qu’il y ait de nombreuses possibilités de témoignages et donc de rencontres ;
Il fallait enfin que le sujet choisi permette la réalisation d’un vidéogramme mettant en scène le « reportage » effectué par le collecteur.
Je retenais ensuite quelques exemples forts dans la région, à savoir :
Le carnaval de Dunkerque ;
Le carnaval de Cassel ;
Les fêtes de Gayant de Douai ;
Les guénels de noël à Boulogne sur Mer ;
Le carnaval de Bailleul…
2. Les prérequis
Il était hors de question que le collecteur en devenir soit lancé sur le terrain sans une formation au préalable. Les études de 3e cycle long, devenues par la suite CEPI, se déroulent sur 750 heures réparties généralement sur 3 ans (voir le détail en fin de cet article : http://pedagogie-des-musiques-traditionnelles.fr/?p=336 ). Avant de se lancer dans l’aventure de ce mémoire, le musicien apprenant suit les modules suivants :
Sources patrimoniales : mises en perspectives
Initiation à l’organologie et découverte générale de quelques grandes aires culturelles à travers l’Europe, l’Afrique et l’Asie en reliant organologie et pratiques socioculturelles des acteurs en présence ;
Les musiques traditionnelles d’Europe à travers le prisme de la cornemuse ;
Les pratiques musicales en Berry : pratiques de traditions populaires et naissance du mouvement folklorique.
Sources patrimoniales : écoute et analyse
Développer une analyse musicale s’appuyant sur des catégories pertinentes ;
Relier l’écoute aux éléments de connaissances fonctionnelles : pourquoi cette musique et cette pratique dans cette société, à ce moment-là ?
Du folklore à l’ethnomusicologie :
L’histoire du mouvement des collecteurs et des folkloristes. Les grandes collectes du XIXe siècle. De l’académie celtique au décret Fortoul. Le regard des lettrés sur les pratiques culturelles paysannes. Le cas du Berry ;
Formation de nos chansons folkloriques : Patrice Coirault ;
Du folklore à l’ethnographie : Arnold Van Gennep. Rites de passages et cycle des saisons ;
Les âges de la danse : Jean-Michel et Yves Guilcher ;
Initiation à la perspective ethnomusicologique à travers, entre autres, les travaux en Bourbonnais de Jean-François Chassaing et en Aubrac du CNRS dans le cadre de la RCP.
3. Le déroulement de la séquence
Je n’attends pas que l’ensemble de ces modules soient terminés pour enchainer sur le travail de collecte, mais, pour les trois fois où ce cursus a été mené, cela s’est passé à peu près au bout d’un an et demi d’études. L’exemple que je vous propose est celui de Sébastien Brebion, dernier en date à avoir passé son DNOP en 2019. Il a choisi le carnaval de Cassel. Le travail s’est déroulé comme suit :
Choix d’un thème concernant les traditions populaires et les pratiques musicales actuelles dans la région Nord-Pas-de-Calais. Sébastien s’est donc investi sur le carnaval de Cassel ;
Travail de collecte mêlant interventions sur le terrain sur la base d’un questionnaire préparé au préalable (interviews, comptes rendus précis de manifestations) et recherches sur les travaux déjà effectués de par le passé (documents écrits et sonores existants);
Collecte – reportage le jour de la manifestation avec un matériel vidéo pris en charge par un collaborateur ;
Réalisation d’un mémoire et d’un montage audiovisuel présentant la somme de cette collecte.
Le plan du mémoire est arrêté à l’avance. Je propose :
1ere partie : un historique concernant « Cassel », « carnaval » et « géant ». Il s’agit d’un travail de lecture et de synthèse à partir de premières sources écrites que je fournis. Les informateurs locaux seront appelés à en fournir d’autres à la demande du collecteur. Il y intégrera également des extraits d’interviews ;
2eme partie : collectage / reportage couvrant la journée du carnaval avec interviews. Cette partie reprend également nombres d’interviews réalisées au préalable lors de voyages à Cassel par le collecteur ;
3eme partie : description des répertoires en insistant sur leurs mises en jeux dans la collectivité des participants.
Mon rôle, après avoir guidé les premiers pas, a été de reprendre les écrits de Sébastien là où des affirmations étaient posées sans s’appuyer sur une documentation variée, là où la signification d’une phrase était nébuleuse… bref sur les lacunes et incohérences de ses écrits. Je l’ai également guidé en partie dans le questionnement de ses collectes en regard des informations disponibles sur Cassel et dans d’autres manifestations avec géants ou d’autres carnavals… Je l’ai enfin encouragé à formuler de prudentes hypothèses tout en marquant bien les écarts entre collecte et enquête.
Entre cours, travaux écrits, déplacements et rencontres à Cassel, dépouillements des interviews, reportage une journée entière lors du carnaval, montage vidéo, Sébastien a travaillé près de 150 heures. Cette démarche n’aurait pu exister sans un cycle spécialisé comme le CEPI qui s’articule sur 750 heures au total (voir 3e chapitre de l’article http://pedagogie-des-musiques-traditionnelles.fr/?p=336 )
4. L’épreuve
L’épreuve se passe devant un jury qui a reçu le mémoire 2 à 3 semaines auparavant. Le candidat diffuse et commente le montage vidéo réalisé lors de la journée de carnaval. Il le met en pause lorsqu’il le juge nécessaire afin de développer son discours. Le jury l’interroge ensuite sur la base du mémoire et de la présentation vidéo.
Voici les attendus tels que je les envoie au jury :
DNOP de musiques traditionnelles / épreuve de culture musicale
Un élève en CEPI (Cycle d’Enseignement Professionnel Initial), Sébastien Brébion, passe son module complémentaire de formation et culture musicale relative à une tradition de Flandre, Artois ou Hainaut, au choix. Il a choisi le carnaval de Cassel. Le travail est présenté d’une part sous forme d’un dossier en trois parties:
Collectage / reportage couvrant la journée du carnaval avec interviews ;
Descriptions des répertoires en insistant sur leurs mises en jeux dans la collectivité des participants.
Et d’autre part sous forme d’une vidéo synthétisant les temps forts de la journée et commentée par le candidat lors de l’épreuve devant jury.
Le dossier est envoyé au moins 15 jours avant l’épreuve et la soutenance se fait par la présentation de la vidéo et les questions qui suivent. Cette épreuve est l’une de celles qui concourent à la délivrance du DNOP (Diplôme national d’orientation professionnelle de musique). Le niveau est celui du baccalauréat. Ce n’est pas une épreuve d’ethnomusicologie.
Les attendus de cette épreuve sont:
La qualité du travail sur la partie historique qui est en fait un travail de synthèse entre plusieurs ouvrages et des interviews. Cette qualité se jugera sur la cohérence de cette synthèse et à travers d’éventuelles questions pour éclairer certains points;
La capacité à présenter à travers la vidéo une vision construite de la journée du carnaval par ses temps forts et comment ceux-ci sont traduits dans les représentations des participants;
La description des répertoires avec des présentations comparatives des mêmes thèmes ainsi que les pratiques liées à leur interprétation.
5. Le mémoire
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6. La vidéo
J’ai due découper en quatre la vidéo, WordPress n’acceptant pas les fichiers au-delà de 64 Mb. L’original est bien sûr d’un seul tenant. Il est à noter que les commentaires de Sébastien, effectués lors de sa soutenance, ne sont pas enregistrés pour des raisons évidentes. Comme par ailleurs on ne comprend pas toujours les voix des témoins, Sébastien a retranscrit les interviews dans son mémoire. Deux bonnes raisons supplémentaires de le lire !
Partie 1 Partie 2Partie 3 Partie 4
7. Conclusion
Ce que je retiens de ces expériences (incluant les deux autres élèves), c’est l’enthousiasme de l’apprenant (le mot n’est pas trop fort) face à l’accueil très positif qui lui est réservé lors des rencontres diverses et face à l’immersion dans la journée de manifestation. Il est d’autant plus fort cet enthousiasme qu’il succède à la crainte de rencontrer des inconnus que l’on pense déranger, importuner. Et c’est tout le contraire qui se passe, les témoins étant heureux que l’on s’intéresse à leurs traditions ! Ce travail global, source de connaissances du mouvement des folkloristes, de la naissance de l’ethnographie… prends chair à travers cette collecte et cette immersion dans une tradition populaire forte. Et c’est pour moi l’objectif ultime et indispensable de ce projet.
J’ai choisi d’enregistrer une interprétation du thème de « La mal mariée », collectée en 1964 dans le Berry auprès de M.Chédeau par les « Thiaulins de Lignières », Groupe d’Arts et Traditions Paysannes fondé par Roger Péarron. Il s’agit d’un thème récurrent dans la chanson traditionnelle; il évoque une jeune fille donnée à marier par son père à un homme riche contre sa volonté. Cette chanson a été collectée dans le cadre domestique.
Le travail préalable à l’enregistrement a été d’analyser le collectage pour pouvoir saisir le phrasé du chanteur et identifier le mode de la mélodie. Ce n’est qu’une fois ce travail fait que j’ai pu véritablement travailler mon interprétation.
J’ai choisi d’enregistrer la mélodie sur ma cornemuse 20 pouces à perce ancienne fabriquée par Nicolas Galleazzi https://www.cornemuses-galleazzi.com/ . Il s’agit d’un instrument possédant une perce différente des instruments « modernes » et permettant de jouer avec des doigtés alternatifs. Ces doigtés ont pour but de modifier la hauteur de certaines notes, un peu à la manière des violonistes ou des chanteurs. Il est important de noter que l’échelle générale de l’instrument est assez différente des cornemuses « modernes ».
Au niveau timbral, la perce de ma cornemuse apporte un peu plus de brillance en comparaison avec les perces « modernes ». Les bourdons quant à eux sont très présents et sont indispensables afin de faire sonner pleinement l’instrument.
Pour ce qui est de la prise de son, la cornemuse a été enregistrée avec deux micros dynamiques: L’un pour le hautbois (prise de son vers le milieu) et l’autre pour le bourdon (prise de son par le dessous). Il s’agit ici d’une version de travail.
Ces placements de micros ont fait l’objet de plusieurs essais et c’est cette solution qui a été retenue. Le mixage a été fait par mes soins, dans le cadre de ma formation en technique du son au Conservatoire de Calais. Il faut noter la présence d’une légère saturation sur le hautbois, qui j’espère, aura été corrigée (en partie) lors du mixage. Mon interprétation se compose d’une première exposition proche du collectage, les notes mobiles effectuées à la voix sont également jouées à la cornemuse. La seconde exposition marque l’apparition des variations mélodiques; les degrés mobiles sont utilisés à d’autres endroits que sur la collecte. Enfin, sur la troisième exposition, je retourne à une interprétation proche de la collecte et un peu plus ornementée.
2. L’analyse
La chanson se compose de 3 couplets, comportant deux parties. Le mode est de type plagal avec une note de repos centrale, les trois degrés de la quarte inférieure et les trois degrés de la quarte supérieure. Chaque partie nous montre une fraction du mode:
La partie A évolue en arche, partant de la quarte inférieure pour monter jusque la tierce puis redescendre en bas. Le sixième degré n’est pas exposé.
La partie B met en valeur la quarte supérieure tout en se déployant sur la totalité de l’échelle : Le sixième degré renversé apparaît en note de passage.
Le mode complet se constitue d’une quarte, d’une septième sous la tonique, d’une sixte en note de passage et d’une quinte renversée. Il comporte également deux degrés mobiles – mob dans la partie A. Je vais noter le mode ici essayant d’être le plus proche possible de la hauteur du chanteur (La note de repos du mode est notée en caractère gras):
Ré Mi Fa(mob)SOL La Sib(Mob) Do
Nous pouvons noter que les degrés mobiles sont là où l’on trouve les demi-tons et donc les attractions. Ce sont ces attractions qui vont modifier la hauteur de ces degrés.
Dans la partie A du morceau, on retrouve 4 degrés qui marquent des intervalles importants :
La quarte inférieure, en rapport direct avec le 1er degré, qui démarre et sur laquelle la partie se finit (Ré) ;
La note de repos finale du mode, sur laquelle on insiste au début (Sol) notamment par son rapport avec la quarte, quinte renversée ;
La septième qui est un degré mobile dans cette partie (FA). Elle est plus haute en début de phrase car attirée par le mouvement ascendant vers le 1er degré et plus basse en fin de phrase car attirée par la quinte renversée ;
Dans une moindre mesure, le Sib, la note la plus haute de cette partie, qui est l’autre degré mobile du mode (Cette note est un peu plus haute que la tierce mineure habituelle).
La partie B peut se diviser en 2 phrases. Les deux degrés mobiles de la partie A sont fixes dans celle- ci.
Dans la première phrase, on peut noter ces éléments importants:
Le 2e degré, La, qui commence et termine cette phrase. Il est à cette occasion en rapport de quinte avec le ré, quarte inférieure, qui échappe à ce moment à l’attraction du 1er degré ;
Le 1er degré, Sol, sur lequel on se repose en milieu de phrase ;
Le 4e degré, Do, qui est le point culminant du mode.
Dans la seconde phrase, ces éléments importants également:
le Do, 4e degré qui affirme son effet d’aimantation vers le haut ;
La septième, le Fa qui est mise en rapport avec le Ré ;
La montée en arpège RE fa mi puis…
… La note de repos finale, le Sol.
3. Mise en contexte par Michel Lebreton : le CEPI
Ce site étant dédié à la pédagogie et l’enseignement, je me permets de compléter le texte de Sébastien en précisant que ce sont des travaux auxquels il a été initié au cours de son cursus de CEPI (Cycle d’Enseignement Professionnel Initial) au CRD de Calais.
Loin de moi l’idée de ramener à moi sa contribution. Mais cette remise en contexte me parait nécessaire pour réaffirmer l’importance d’un cursus de formation pour les futurs professionnels. Le CEPI, cursus de 750 heures, était à la fois complet (pratiques instrumentales, collectives variées, culture musicale, collecte, le métier de musicien…) et ouvert (pratiques croisées jazz, musiques anciennes, contemporaines…). Ce type de cursus doit être aujourd’hui développé dans le même esprit (la lettre peut et doit évoluer) et ouvert sur tous les territoires.
Vous pourrez lire ci-dessous le détail du CEPI suivi par Sébastien avec les options qui lui sont personnelles.
CEPI – CRD du Calaisis / Sébastien Brébion / Michel Lebreton 2016-2019
Textes officiels. Sources: Cité de la musique
1- Module principal de pratique individuelle et/ou collective
Suivant l’aire culturelle concernée et le cas échéant avec la danse et dans la réalité sociale de cette pratique
Répertoire de l’aire culturelle choisie comme dominante
Variation et/ou improvisation
Techniques vocales spécifiques (pour les chanteurs)
2- Module associé de pratique individuelle et/ou collective
Suivant l’aire culturelle concernée et le cas échéant avec la danse et dans la réalité sociale de cette pratique
Répertoire d’une seconde aire culturelle proche de la dominante
Dans un autre répertoire
3- Module complémentaire de formation et culture musicale
Connaissance des sources patrimoniales, histoire et esthétique
Analyse et travaux d’écoute
Étude des formes de notation adaptées à l’aire culturelle choisie comme dominante
Accompagnement d’un travail de recherche sur un thème patrimonial
4-Une unité d’enseignement au choix dans la liste suivante
Pratique du collectage
Deuxième instrument ou chant (pour les instrumentistes)
Instrument (pour les chanteurs)
Pratique vocale ou instrumentale dans une esthétique spécifique
Accompagnement (instrument, chant ou danse)
Direction d’ensemble vocal et/ou instrumental
Écriture, création ou composition
Danse
Théâtre
Lien avec les musiques actuelles amplifiées ou le jazz ou la musique ancienne
Production et traitement du son
Mémoire sur un sujet de culture musicale
Réalisation d’une programmation ou d’une manifestation musicale dans le cadre d’une pratique amateur
Examen d’entréeau CRD du Calaisis
Un air à danser de l’aire culturelle (Berry)
Un air à écouter de l’aire culturelle (Berry)
Un air d’une autre aire culturelle
Restitution et interprétation sur l’instrument ou à la voix d’un extrait musical
Entretien avec le jury portant sur les motivations du candidat
PROGRAMME
La formation de 750 heures se déroule sur trois ans à raison de quatre heures hebdomadaires avec Michel Lebreton, une heure avec Renaud Hibon, complétées par la participation à certains projets du CRD (bals, master classes, ateliers de pratiques collectives, projets collectifs…) et une série de stages et modules de formations proposés par d’autres CRD de la région. Ce parcours est jalonné de contrôles continus qui consistent en travaux instrumentaux d’une part et en réalisations de dossiers thématiques d’autre part. Ces derniers sont essentiellement des synthèses de cours augmentées de lectures. La réalisation de ces dossiers est aussi un encouragement pour l’élève à se constituer une documentation sur la base de laquelle il pourra continuer à développer ses connaissances et sa réflexion par la suite. Une recherche théorique et pratique sur un terrain à choisir initie l’élève à un travail de collecte qui se concrétise par la rédaction d’un mémoire agrémenté d’un montage vidéo.
Les cours hebdomadaires sont découpés comme suit :
Trois heures consacrées aux domaines de la formation historique, culturelle et musicale (voir détails dans les pages qui suivent) ;
Une heure consacrée à l’étude appliquée sur la cornemuse de collectes du Berry, d’Auvergne et du Limousin ;
Une heure, avec Renaud Hibon, consacrée à la pratique des répertoires néo trad.
I- Pratique individuelle et collective :
Interprétation des répertoires du Berry sur la musette 16 pouces :
Savoir développer une interprétation puisant au plus près des jeux de musettes du Centre. S’appuyer sur l’écoute et l’analyse de documents sonores (collectes mais également réinterprétations récentes) ainsi que sur les rencontres avec des instrumentistes. Prendre en compte les phénomènes de reconstruction des modes de jeux en cours dans les pratiques actuelles afin de savoir opérer des choix clairs et motivés. Un travail sur le jeu de cabrette d’Auvergne sera mené dans ce sens ;
Savoir développer le jeu pour la danse en s’inspirant là aussi d’écoutes. Celles-ci puiseront largement dans d’autres pratiques instrumentales attestées par l’enquête et le jeu actuel (chant, violon, vielle à roue, accordéon diatonique…).
Variations et improvisations sur ces répertoires:
Savoir varier les thèmes par un développement ornemental ;
Savoir improviser sur un mode mis en situation dans une mélodie. Développer le travail formulaire, la mise en valeur des attractions, l’invention sur des appuis structurels de la mélodie en restant dans le mode. Plus généralement, savoir improviser dans un univers de monodie à bourdons.
Pratique polyphonique et création pour cornemuses :
Savoir créer une voix polyphonique sur un thème donné par un jeu improvisé ;
Noter les compositions ;
S’initier à la pratique des musettes 20 et/ou 23 pouces et composer pour trois voix au sein d’un trio. Composer également par l’écriture (utilisation possible de l’ordinateur). Comparer les résultats obtenus par une analyse des rapports entre les voix.
Danse :
S’initier à la pratique des danses constitutives de ces répertoires. Divers stages associatifs ainsi que deux moments annuels de formation au CRD offrent cette opportunité.
Création d’un groupe :
Constituer son propre groupe avec les musiciens et instrumentistes de son choix ;
Développer un jeu collectif pour la danse en prévision de prise en charges de bals ;
Mais s’essayer également à créer des structures et arrangements jouant sur les contrastes et ruptures dans un univers de musiques à bourdons. Proposer un concert thématique.
II- Module associé de pratique individuelle et collective:
(Sébastien a choisi l’Irlande et l’uilleann pipe comme seconde aire culturelle).
Développer la pratique de l’uilleann pipe, cornemuse irlandaise. Des associations proposent des stages régulièrement (Na piobairi et l’Association irlandaise sur Paris, Tamm Kreiz, Gan-Ainm en Bretagne… ainsi que des universités d’été telle celle de Tocane en Périgord) ;
Développer la pratique du ceilidh dans le cadre de l’atelier du CRD et de sessions sur la région ;
Compiler un dossier sur les musiques traditionnelles d’Irlande à partir de sources documentaires.
III- Formation et culture musicale :
Sources patrimoniales : mises en perspectives
Initiation à l’organologie et découverte générale de quelques grandes aires culturelles à travers l’Europe, l’Afrique et l’Asie en reliant organologie et pratiques socioculturelles des acteurs en présence ;
Les musiques traditionnelles d’Europe à travers le prisme de la cornemuse ;
Les pratiques musicales en Berry : pratiques de traditions populaires et naissance du mouvement folklorique.
Sources patrimoniales : écoute et analyse
Développer une analyse musicale s’appuyant sur des catégories pertinentes ;
Relier l’écoute aux éléments de connaissances fonctionnelles : pourquoi cette musique et cette pratique dans cette société, à ce moment-là ?
Du folklore à l’ethnomusicologie :
L’histoire du mouvement des collecteurs et des folkloristes. Les grandes collectes du XIXe siècle. De l’académie celtique au décret Fortoul. Le regard des lettrés sur les pratiques culturelles paysannes. Le cas du Berry ;
Formation de nos chansons folkloriques : Patrice Coirault ;
Du folklore à l’ethnographie : Arnold Van Gennep. Rites de passages et cycle des saisons ;
Les âges de la danse : Jean-Michel et Yves Guilcher ;
Initiation à la perspective ethnomusicologique à travers, entre autres, les travaux en Bourbonnais de Jean-François Chassaing et en Aubrac du CNRS dans le cadre de la RCP.
Les pratiques dans leurs contextes :
Choix d’un thème concernant les traditions populaires et les pratiques musicales actuelles dans la région Nord-Pas-de-Calais (guénels à Boulogne sur Mer, carnaval ou saint Martin à Dunkerque, géants de Cassel…). Sébastien s’est investi sur le carnaval de Cassel ;
Travail de collecte mêlant interventions sur le terrain sur la base d’un questionnaire préparé au préalable (interviews, comptes-rendus précis de manifestations) et recherches sur les travaux déjà effectués de par le passé (documents écrits et sonores existants);
Collecte – reportage le jour de la manifestation avec un matériel vidéo pris en charge par un collaborateur ;
Réalisation d’un mémoire et d’un montage audiovisuel présentant la somme de cette collecte.
IV- Unités d’enseignement complémentaires :
Participer à des ateliers de pratiques collectives présents au sein du CRD du Calaisis. En l’occurrence, deux ateliers jazz, une chorale, de la MAO, de la prise de son et deux stages d’improvisations ;
Sébastien a souhaité s’inscrire en guitare classique, cursus qu’il a continué à suivre par la suite. Il est à noter qu’il avait pratiqué plusieurs années la guitare jazz.
ÉPREUVES FINALES
Un concert de 30’ constitué, d’une part, de soli en grande partie autour des musiques du Berry, et d’autre part d’un jeu en groupe librement choisi. Une présentation de 5 minutes de musiques traditionnelles irlandaises, option de Sébastien, est incluse ;
La présentation d’un mémoire sur une tradition populaire en région. Cette présentation s’appuie sur une vidéo. Elle est suivie d’un entretien avec le jury.
CONTRÔLE CONTINU
Auditions, bals ;
Participations à des projets divers ;
Analyse de chants francophones collectés en Berry, Auvergne :
Savoir les chanter avec le / la chanteu-r-se
En proposer une analyse tenant compte des spécificités dynamiques de la source ;
Savoir les transposer sur l’instrument en explicitant les choix opérés.
Reconnaissance et description sommaire d’enregistrements de musiques traditionnelles d’Europe (aire culturelle, organologie, type de pratique).
Rédaction en dehors des cours de dossiers de synthèses sur des sujets tels que : les violons populaires en Europe, les polyphonies vocales dans le bassin méditerranéen, les cornemuses à chalumeaux ou hautbois pluriels…
Entre mi-septembre et fin novembre 2019, je proposais à l’un des ateliers de pratiques collectives, que j’encadrais alors au CRD du Calaisis, de développer des pistes d’inventions musicales en partant de la chanson « En revenant des noces ». Il s’agit de la version collectée auprès de Madame Juliette Péarron en 1960 à Saint-Hilaire-en-Lignières. Cette collecte s’inscrit dans la démarche initiée dès 1946 par les « Thiaulins de Lignières », Groupe d’Arts et Traditions Paysannes fondé par Roger Péarron (photo ci-dessous) https://contact3441.wixsite.com/thiaulins
L’enregistrement a été édité en 1977 par « Le Chant du Monde » dans un disque 33 tours dédié aux collectes en Berry des Thiaulins de Lignières. La direction artistique en a été assurée par Jean-François Dutertre. Vous pouvez en entendre un extrait ici : https://raddo-ethnodoc.com/raddo/discographie/3052
1. Les musiciens
Présentons d’abord le groupe concerné. Ce sont des adultes ayant des
expériences et niveaux de compétences très diversifiés. Certains évoluent dans
les musiques dites « de classique à contemporain », d’autres dans les
« musiques actuelles » en général, d’autres enfin dans les
« musiques traditionnelles » plus spécifiquement.
Certains sont en début ou en fin de cycle 2, d’autres en cycle 3. D’autres
enfin sont hors cycle, ayant terminé un cursus mais continuant à participer aux
ateliers de pratiques collectives.
Les participants sont :
Une
violoniste et une violoncelliste qui jouent par ailleurs en orchestre amateur.
La violoniste s’est inscrite récemment en violon traditionnel et la
violoncelliste pratique également le violoncelle baroque ;
Une
flûtiste traversière qui joue de même en orchestre et harmonie ;
Une
accordéoniste qui interprète des musiques populaires variées ainsi qu’un peu de
jazz ;
Une
harpiste qui joue sur harpe celtique et qui est handicapée partiellement d’une de
ses mains ;
Un
flûtiste serbe qui réside à Calais et a rejoint l’atelier qui lui procure une
occasion de jouer de sa flûte à conduit traditionnelle : une frula ;
Une
cornemusière qui a arrêtée en fin de cycle 1 pour raison de santé et a repris
il y a peu ;
Un
cornemusier qui termine son cycle 2.
Seuls les cornemusiers sont donc en cursus.
L’atelier est hebdomadaire et dure 1 heure. Parallèlement au travail
présenté, nous avons aussi utilisé ce temps pour répéter des airs présentés en
public en décembre.
2. Le projet
J’ai présenté au groupe le projet qui s’articule en quatre objectifs :
Découvrir
la chanson collectée et les actions des Thiaulins de Lignières ;
Explorer
et mettre en place deux règles d’improvisations proposées par mes soins ;
Travailler
collectivement la matière sonore de bourdons afin qu’ils soient vivants,
évolutifs dans leurs densités, leurs grains, leurs dynamiques… Pour cette
notion de « bourdons vivants », je vous renvoie à l’article « Murailles
et lisières traversant le temps et l’espace du conservatoire » et à la
vidéo qui se trouve à la fin http://pedagogie-des-musiques-traditionnelles.fr/?p=310 La même chanson y est source d’invention
collective ;
Chercher
et mettre en place collectivement une interprétation de la mélodie sur les
instruments en y incluant les bourdons et le jeu improvisé. Le chant peut y
avoir une place, mais la tonalité des cornemuses (voix alto) ne le facilite
pas.
C’est donc un projet qui est proche de celui développé avec les étudiants
en CEPI que vous pouvez voir et entendre dans la vidéo indiquée ci-dessus. Mais
il s’agit d’un public amateur qui a des compétences en improvisations moins ou
pas développées.
3. Prise de contact
Nous avons d’abord écouté la chanson. J’ai utilisé le 33 tours sur la
platine dont je disposais depuis peu. L’objet a son importance : il
devient le marqueur d’une époque « autre » et ouverture potentielle
vers un « inconnu ».
Je ne présente jamais auparavant un enregistrement proposé à l’écoute. Je
demande seulement à l’auditoire d’écouter et d’imaginer la personne que l’on
entend, le cadre depuis lequel elle nous transmet sa chanson. A cela s’ajoute la
consigne de s’attacher à l’histoire véhiculée tout du long. C’est donc une
écoute essentiellement subjective qui s’attache à créer un imaginaire, lien
potentiel de contact avec « ces vieux enregistrements qui craquent »
et « ces musiciens qui ne jouent pas très juste ».
Après un échange collectif complété d’informations que je distille au fur
et à mesure, je propose de réécouter cette chanson afin de mieux en saisir le
récit. C’est aussi l’occasion de le mettre en parallèle avec celui de « la
claire fontaine ». Enfin, nous apprenons par cœur le texte des premières strophes
et essayons de les chanter pendant la diffusion du disque. Le but est de
s’attacher aux phrasés, débits, intonations de Mme Piérron. Je ne cherche pas
une reproduction servile mais plutôt une consigne poussant l’écoute plus avant.
Après cette séance, j’envoie par mail le son de la chanson ainsi que les
paroles.
4. Prise de contact 2
La semaine suivante, nous réécoutons la chanson une fois puis je propose de
la chanter dans son intégralité avec Madame Piérron. Celles et ceux qui l’ont
réécouté chez eux entraineront le groupe en avant. Le premier essai se fait
avec le texte en cas de besoin. Les autres essais, au fil des semaines, se font
de mémoire.
Je demande ensuite à être attentif aux finales de chaque strophe. Certains
font la remarque que la durée de la respiration qui suit la dernière note varie
quelque peu selon les strophes. Je demande à ce que nous fixions la durée de
cette note finale afin de pouvoir jouer ensemble. C’est une occasion parmi
d’autres de pointer les libertés rythmiques du jeu soliste que ne permet pas
(ou moins) le jeu collectif. Nous nous arrêtons sur une durée de trois
pulsations.
L’allant de cette chanson étant régulier et vif, elle peut devenir porteuse
de danse. Afin de s’imprégner du rythme et du phrasé, je propose donc de mettre
en place un rond chanté dont je créée les pas en m’inspirant de ceux des
branles de la Renaissance tels que la pratique contemporaine les a remis en
usage à partir de l’interprétation de l’Orchésographie (voir http://www.graner.net/nicolas/arbeau/index.html ). Cela donne un branle coupé comme
suit :
Partie
A : Dg Sd Sg Dd Sg Sd
Partie
B : Dg Dd 2 pieds en
l’air
Il faut lire :
Dg :
double à gauche
Sd :
simple à droite
…
C’est évidemment un choix personnel qui n’engage que moi !
J’ai ensuite proposé de transposer cette mélodie sur les instruments. Le
choix de la hauteur (voir partition) a été dicté par les cornemuses 16 pouces à
bourdons de sol. Je précise que je n’ai donné la partition à aucun moment.
5. Éléments d’analyse
Une fois la mélodie défrichée, il
a fallu commencer la recherche d’une mise en place collective : la
difficulté s’est concentrée sur les fins des deux parties. La tenue des trois
pulsations suivies d’une levée a été délicate à mettre en place comme souvent
lorsque l’on ne tient pas deux ou quatre pulsations. Le chant a aidé à
intérioriser ce passage qui reste cependant à travailler.
J’ai ensuite proposé de repérer
quelques éléments structurels afin de guider nos improvisations :
Nommer la finale, 1er degré du mode
et note de repos (ici SOL) ;
Nommer le 5e degré, degré
d’aimantation (ici RE) ;
Décrire le mouvement mélodique de la 1ere
partie : 1 tierce au-dessus du 5e degré et une tierce au-dessous,
soit :
RE mi fa
RE do sib
On peut noter que ces phrases sont construites
autour du RE et se terminent en suspension sur le 3e degré
(Sib) ;
Décrire le mouvement mélodique de la 2e
partie : descente du 5e vers le 1er degré ;
Enfin, noter qu’il n’y a pas 2e
degré (LA).
Ces éléments sont en quelques
sortes la carte d’identité modale de cette mélodie et c’est en nous
l’appropriant que nous allons structurer nos improvisations.
Nous avons exploré l’architecture
du mouvement de la 1ere partie, tout d’abord en QR entre moi et le groupe. J’ai
donc proposé à ce stade des phrases articulées autour du 5e degré
(RE) en utilisant les deux tierces (RE mi fa / RE do sib) pour construire des
mouvements mélodiques. Chacun a ensuite proposé son mouvement sur la même
règle. Cet espace mélodique sera celui de l’improvisation.
Nous avons enfin écouté et
commenté l’enregistrement réalisé par des musiciens en CEPI sur la même règle.
Cela a été l’occasion de définir comment ils gèrent ensemble les bourdons de 1er
et 5e degrés. http://pedagogie-des-musiques-traditionnelles.fr/?p=310
6. Improvisations
a. Échelle fa mi RE do sib
J’ai proposé de nous entrainer en
produisant une courte improvisation chacun son tour sur le cercle. Dans un
premier temps ces productions se font sans rythme mesuré sur un tempo lent
propre à chacun. Les musiciens produisent au choix un bourdon de 1er
ou 5e degré et ne le quittent qu’au moment de leur solo improvisé.
Nous avons ensuite fait évoluer
la règle vers une improvisation sur un rythme régulier et une carrure de 8
pulsations. Les musiciens se sont d’abord entrainés sur le cercle. Puis j’ai
proposé de créer des duos de leur choix :
Dans chaque duo un musicien A et un musicien
B ;
Le musicien A produit son improvisation sur
une carrure de 8 pulsations ;
Le musicien B enchaine la sienne sur 8
pulsations également ;
Le A rejoue suivi du B ;
Pendant ce temps, les autres musiciens tiennent
les bourdons ;
Le jeu passe au duo suivant.
b. Bourdons
vivants
J’ai proposé par ailleurs de
travailler la matière du bourdon dans le sens d’un BOURDON VIVANT. C’est-à-dire
une masse sonore constituée des 1er et 5e degrés mais
évolutive comme un organisme vivant. Chaque musicien a cherché des variations
d’intensités, d’octaves, de timbres… J’ai indiqué 3 types de placements pour
chacun dans la masse des bourdons :
En arrière-plan par la simple tenue de l’un des
bourdons sur une intensité peu élevée ;
En passant quelques instants en avant-plan par
un crescendo-decrescendo, une brève impulsion… ;
En produisant un court événement qui ressorte du
paysage sonore global.
Tout ceci se fait en réaction de
chacun aux autres musiciens avec comme consigne : être en complémentarité
ou être en rupture.
Ces deux travaux d’improvisations
ont évolué, les musiciens les plus autonomes produisant des phrases et des
événements bourdonnants variés, les autres s’attachant à rester dans le jeu
quitte à produire des paraphrases de la mélodie.
7. La structure
Plusieurs structures proposées
par les musiciens ont été testées. Il fallait organiser ensemble bourdons,
thème, improvisations non mesurées et improvisations mesurées en duo.
Le choix final s’est structuré sur deux parties, deux atmosphères :
1ere partie : rythme libre et lent. Bourdons collectifs. Les improvisations s’enchaînent
aléatoirement. Le 1er soliste, désigné à l’avance, passe le relais à
qui il le souhaite et ainsi de suite ;
Cette
partie se termine par l’exposition du B de la mélodie par l’un des
cornemusiers ;
la mélodie
est interprétée deux fois en tutti.
2e partie : rythme mesuré et tempo de la mélodie.
Bourdons collectifs. Des duos constitués improvisent. Chaque musicien produit
alternativement 2 phrases d’une carrure de 8 pulsations chacune ;
Deux duos
improvisent l’un après l’autre ;
Pont :
des musiciens désignés auparavant exposent la partie B ;
Les deux
autres duos improvisent ;
La mélodie
est reprise deux fois pour terminer. L’orchestration de ce final n’est pas
arrêté.
Voici l’enregistrement commenté
par écrit, le tout sous forme de vidéo. La semaine suivante, nous avons
retravaillé la matière des bourdons, puis avons terminé là notre collaboration.
Attention : il y a malheureusement des parasites dus à un connecteur son défectueux.
8. Reprise de la 1ere partie
L’atelier a refait deux essais uniquement consacrés à la
1ere partie, toujours en se passant le relais par le regard. Des remarques
faites lors de l’audition du filage de la semaine précédente ont mis en avant
la nécessité :
Que chacun prenne le temps d’installer un climat
dans le mode retenu ;
Que les tuilages soient marqués, matérialisant
ainsi le passage de relais et créant une tension entre deux improvisations
solistes ;
Que les bourdons soient plus variés dans leurs
expositions.
Le 1er enregistrement rend compte d’un temps musical lent et habité par des propositions qui se diversifient. Les tuilages manquent encore parfois d’intention, d’affirmation et les bourdons restent trop en retrait tout du long. A l’écoute du final vous entendrez les deux cornemuses perdant le fil de la musique. Le groupe a discuté et proposé de renforcer ce passage : la 1ere cornemuse termine son improvisation en entretenant la pédale de RE pendant que la seconde enchaine le final de la mélodie. Le climat de cette 1ere partie est cependant plus construit collectivement que lors du filage précédent.
Le 2e enregistrement, réalisé après évaluation collective du précédent, nous donne à entendre un ensemble plus à l’écoute et un climat d’une plus grande cohérence par rapport aux trois points ci-dessus.
9. Collecte et invention
Ce projet de musicien (s’imprégner, interpréter, explorer, improviser,
organiser le temps musical) a suscité une grande satisfaction chez les
participants au vu des derniers résultats. Il y a ce sentiment d’exprimer au
mieux ce qu’il y a en chaque individu tout en construisant collectivement.
Pour ma part, j’y ajouterai l’occasion
de partir à la rencontre de sources collectées et de la culture qui les a
portées, tout en les plaçant dans une dynamique d’invention. Il n’est alors
plus question de « ces vieux
enregistrements qui craquent » et de « ces musiciens qui ne jouent
pas très juste ». Mais tout simplement de musiciens du passé qui peuvent
nous passionner et nous émouvoir.
Cet article a été rédigé dans le cadre de l’espace numérique PaaLabRes(Pratiques Artistiques en Actes, Laboratoire de REchercheS) http://www.paalabres.org/
1. Espaces clos… temps immobile / Espaces ouverts… temps des
possibles
La muraille. Elle s’impose par sa
masse, sa capacité à délimiter une frontière. Elle induit une permanence dans
l’espace, une fixité, une impression d’intemporalité qui concourt à l’oubli de
sa présence. Nous pratiquons, nous pensons dans l’ombre de murailles. Elles
donnent un cadre, et donc un périmètre, permettant d’organiser nos activités.
Mais à parcourir toujours les mêmes plans,
les mêmes volumes, elles nous apparaissent bientôt, dans une illusoire
évidence, parées d’intemporalité. Elles nous mettent en bouche des aphorismes
tels que : « on a toujours fait comme ça ! », « de tous
temps… », « il est évident que… »… qui sont autant
d’expressions qui les cimentent encore davantage. Et qui découragent le débat,
puisque… l’on a toujours fait comme cela.
Les murs le long de la frontière
américano-mexicaine tentent d’enfermer les mexicains dans leur pays. Ils
enferment, dans un mouvement parallèle, les américains dans une enclave que
certains souhaitent protectrice. Il y a un désir de muraille qui va de pair
avec une peur de l’altérité malencontreusement liée à un besoin de sécurité.
Une muraille est faite pour défendre.
C’est donc qu’une attaque est redoutée. Le mur d’Hadrien se dresse contre la
menace d’invasions barbares. Mais au fil du temps, il est délaissé, les soldats
abandonnant leurs postes pour s’établir paysans aux alentours. Il devient une
réserve de pierres pour construire maisons, églises… La muraille devient ici
matière à d’autres pratiques. Celles-ci ouvrent sur de nouveaux espaces.
Comment ouvrir espaces et temporalités,
quelles pratiques développer qui permettent de percevoir la muraille et d’oser
sortir de son ombre, de laisser cette sécurité illusoire, de mettre les peurs
en suspension? Et de mettre en lumière les évidences assénées par les pouvoirs
en place?
2.
Paroles suspendues, paroles retrouvées
J’ai eu l’occasion de prendre en
charge un atelier d’écriture à destination d’étudiants de l’ESMD (Ecole
Supérieure Musique et Danse Hauts de France) avec l’objectif de les aider dans
la rédaction de leurs mémoires. La toute première séance a révélé un désarroi
chez certains de ces étudiants, tous adultes et ayant un poste d’enseignement
et de l’expérience. Leurs premières réactions furent: « Je n’ai rien à
raconter », « je fais cours, c’est tout », « il ne se passe
rien d’extraordinaire dans mes cours »… Ils renvoyaient des réponses
fermées et coupant court à toute perspective de questionnement. Plus encore,
ils affirmaient de façon sous-jacente qu’il n’y avait rien à observer,
banalisant ainsi leurs pratiques d’enseignement, pratiques dont nous devions
découvrir par la suite les nombreux pôles d’intérêts.
Afin de dépasser cet état de fait,
j’ai fais appel à des expériences hors du cadre des conservatoires. Des
expériences mettant en jeu leurs capacités à accompagner, aider, éduquer mais
dans un contexte où ils ne soient pas évalués par le prisme du musical.
Pour l’une, ce fut une série de
remplacements en milieu hospitalier qui l’ont amenée à
pratiquer le travail en équipe, l’écoute des patients, la résolution de
conflits… démarches qu’elle a pu par la suite décrypter dans sa pratique
enseignante. Pour une autre ce fut d’apporter une aide auprès de sa sœur qui
était en difficulté pour une épreuve de baccalauréat. Cette dernière était en demande
et cela se passa facilement. Le frère avait les mêmes difficultés mais était
réticent face au travail scolaire, de surcroit chapeauté par sa grande
sœur ! Celle-ci ne trouva pas de situations opératoires mais réalisa plus
tard, lorsque son frère se réorienta avec succès dans une branche différente et
qui lui plaisait, que la motivation ne s’enseigne pas mais (je cite un extrait
de son mémoire) « que le rôle d’un enseignant est de développer des
situations ouvertes au plaisir d’apprendre (manipuler, explorer, construire…)
afin que la motivation puisse advenir, s’accroitre ». Pour une troisième
enfin ce fut une expérience d’auxiliaire de vie scolaire auprès d’enfants
autistes avec pour objectif une intégration dans le cursus scolaire standard. Elle
indique dans un de ses écrits : « Cette expérience d’une année est
très certainement la plus marquante et une des plus belle de ma vie, j’ai
compris l’importance de se faire accepter sans attendre quoi que soit en
retour, j’ai une autre vision de cette maladie et surtout j’ai pu acquérir un certain nombre de
compétences… » (S’ensuivent des compétences telles que patience,
curiosité, capacité d’adaptation, écoute de l’autre…).
Ces récits qu’elles ont couchés sur le
papier et qu’elles ont échangés, discutés, ont joué le rôle du révélateur
photographique. Elles s’y sont vues actrices de situations d’accompagnement,
parfois d’enseignement. La parole s’est faite plus facile, le désir d’écoute
s’est davantage affirmé. Et avec eux, la certitude « qu’il se passe quelque
chose ». Et que cela mérite d’être conté, observé, analysé. Ce regard
ethnographique s’est emparé de la sphère professionnelle. Elle est devenue
source d’autres récits, également échangés, discutés, analysés. Chacune d’entre
elles avait commencé à contourner la muraille des évidences pour commencer à
assembler les pierres des possibles. Et se réapproprier le temps et l’espace de
leurs expériences en en évoquant les épaisseurs et mouvances humaines. Sur
quels terrains s’engagent t’on alors pour faire advenir ces mises en lumières?
3. Lisières
« La lisière est une bande, une
liste, une marge (pas une ligne) entre deux milieux de nature différente, qui
participe des deux sans se confondre pour autant avec eux. La lisière a sa vie
propre, son autonomie, sa spécificité, sa faune, sa flore, etc. La lisière
d’une forêt, la frange entre mer et terre (estran), une haie, etc. Alors que la
frontière et la limite sont des clôtures, la lisière sépare et réunit en même
temps. Un détroit est une figure exemplaire de lisière : le détroit de
Gibraltar sépare deux continents (l’Afrique et l’Europe) en même temps qu’il
fait communiquer deux mers (Méditerranée et océan atlantique). »
Emmanuel Hocquard, Le cours de
PISE, POL, Paris 2018, page 61
Les lisières sont les endroits des
possibles. Les limites n’en sont définies que par les milieux qui les bordent.
Elles sont mouvantes, sujettes à érosions, sédimentations: elles n’ont rien de
l’évidence. Enseignants et apprenants, tous deux habités d’expériences
musicales nourries de leurs parcours respectifs, se retrouvent de prime abord
évoluant dans les sols souples des lisières. Ils ne se connaissent pas mais se
réunissent autour d’un objet « musique » qu’il conviendrait
d’ailleurs d’écrire au « singulier – pluriel » : la Musique – des
musiques / Les musiques ma Musique. L’enseignant s’est construit au fil du
temps un paysage où les représentations sociales et donc musicales se sont
construites et édifiées plus ou moins solidement, plus ou moins en conscience
(par exemple, « qu’est ce qui est « musique ? », « qu’est
ce qui fait le « musicien », « qu’est ce
qu’enseigner ? », « quelle est la place de l’élève dans ce
processus ? »…). L’apprenant vient également avec un bagage de
représentations sociales et musicales.
Mais lorsqu’il pénètre pour la première fois dans ce lieu appelé
« Conservatoire », les premières lui rappellent qu’il entre dans
« un haut lieu d’expertise » et les secondes que les musiques
enseignées y sont majoritairement « des grandes musiques ». Il est à
la fois disponible, motivé et sur la réserve, éventuellement impressionné. Il
est dans les lisières, terrains inconnus mais attirant en ce que l’on espère, y
concrétiser ses désirs. En l’occurrence, la pratique d’un instrument dans la
plupart des cas. La question est alors : l’enseignant va-t-il le rejoindre
dans ces lisières mouvantes, mais seul terrain qui les réunit à ce moment
premier ? Et tenter de débroussailler un espace et un temps commun
d’apprentissage mutuel. Ou va-t-il emmener l’apprenant à l’ombre de sa muraille
afin d’y dérouler un programme prédéfini et solidement maçonné ? Va-t-il
laisser les barrières ouvertes aux vagabondages et bricolages[1], allant même
jusqu’à les encourager ? Où va-t-il circonscrire toutes pratiques à
l’enclos qu’il a construit au fil du temps?
« Le seul véritable voyage, le
seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais
d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent
autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux
est » (Marcel Proust, La Prisonnière, page 762). Dans une reformulation
très réductrice de ma part (pardon aux Marcels), à tout le moins mettre à jour
« sous les pavés, la plage! ». Car à quoi bon être en présence d’autres
paysages sonores si nous les plions inlassablement à notre habitus? Créons plutôt des situations ouvertes à nos imaginations, lisières
propices à passer les objets étranges au sein d’échanges improbables. Laissons
une part d’improvisation dans les « faire de la musique », ou encore
les « construire collectivement des échafaudages sonores », ainsi que
les «tenir atelier ouvert ». Ouvrir les yeux autres qui sont en nous et
tout cela par le pouvoir de la confrontation et de l’échange avec l’autre.
4.
Il suffit de passer le pont
La rencontre de musiciens autour de
pratiques ouvertes (exemple: « dans le groupe, chacun prendra la parole en
réaction à ce qu’il perçoit des autres propositions: en complément – aller
vers- ou en opposition -s’éloigner- ») et d’objets peu ou pas connus (ex:
« accumulons des nappes sonores par timbres de plus en plus
granuleux ») met en jeu des relations aux objets et aux sujets qui
différent de ceux développés dans une formation qui se centre encore souvent
sur de l’interprétation de répertoires esthétiquement repérés. Les
comportements, savoir faire habituels ne se suffisent plus pour participer aux
récits sonores que l’on est appelé à construire, seul ou en groupe. Il y a
alors deux voies possibles: sauter dans le train en partance sans en connaître
l’itinéraire et faire advenir un nouveau récit ou laisser passer le train
(certains peuvent même être tentés de le dynamiter !).
Une telle situation s’est révélée lors
d’un projet avec ensemble de cordes (huit violonistes et trois
violoncellistes). Il s’agissait, dans un premier temps, de mettre sur pieds un
répertoire de musiques traditionnelles à danser issues du Berry ainsi que de
compositions dans le style. L’approche de ces répertoires, inconnus des
musiciens en présence, se faisait par le chant et la danse; s’ensuivait la
transposition par oralité sur instruments et en petits groupes. Les musiciens
étaient invités à chercher collectivement cette transposition, puis à
confronter leurs trouvailles en grand groupe. Des jeux d’improvisations sur la
quinte de structure et les bourdons de certaines mélodies complétaient cet
atelier. Précisons que la technicité requise pour l’interprétation était
acquise par tous les participants.
L’une des musiciennes
âgée de 16 ans était sur la réserve et ce à la fois sur le fait de danser et
sur celui d’improviser sur les règles proposées (elle avait déjà pratiqué de
l’improvisation sur grille harmonique mais dans un autre cadre). Elle était
venue s’inscrire à un cours d’ensemble à cordes et s’attendait à travailler du
répertoire « classique » alors qu’une information avait été faite,
définissant le projet particulier de cet atelier. Mais là où elle s’attendait,
en dépit de la présentation du projet, à travailler en ensemble des œuvres
écrites dans le but de les interpréter collectivement sous la direction du
professeur de cordes, elle s’était retrouvée dans une logique d’atelier où
chacun est appelé à bricoler. Ajoutons le peu de « prestige »
apparent des matériaux proposés: simplicité apparente des
mélodies, improvisation sur cinq notes, accompagnements basés sur des bourdons
rythmiques, danse populaire au pas répétitif au premier abord… ainsi que le
fonctionnement proposé: travaux et recherches collectives, confrontations et
débats sur les trouvailles, recherche d’une construction collective finale…
qui l’ont rebutée. C’étaient là autant d’éléments qui déplacent les enjeux plus
habituels tels que se confronter à
des répertoires ardus et prestigieux et se fondre dans un jeu et un son d’orchestre avec pour
références de nombreux enregistrements professionnels. Je n’ai pas réussi à
l’aider à questionner cet état de fait, ne souhaitant pas échanger avec moi.
5. Co-construction
C’est le statut même
du musicien apprenant/enseignant qui est ici en jeu.
Ce musicien apprenant
est il à même d’enfiler différentes peaux (interprète, improvisateur,
orchestrateur…), différents scénarios (orchestre, musique de chambre, groupe
de musiques actuelles, soliste…) et différentes esthétiques comme il le
ferait en fouillant librement la malle aux vieux vêtements dans le grenier de
ses grands parents pour jouer à être un autre ?
Ce musicien
enseignant est il en volonté et capacité d’accompagner cet apprenant afin que
ces peaux n’en fassent plus qu’une, souple et adaptable aux choix et nécessités
du moment; que ces scénarios soient autant de mises en relations humaines et
musicales variées ; que ces esthétiques soient des occasions de humer les
diversités culturelles ?
Cet apprenant est il
à même d’accepter qu’un cours repéré comme ensemble à cordes soit le lieu de
ces différents cheminements ?
Cet enseignant est il
à même de créer les conditions pour que cela advienne?
Il est ici important
de prendre en compte plusieurs aspects qui façonnent la tradition des conservatoires.
Ils nous permettront de mieux définir le bâti et son architecture à un moment
où il tente de se redéployer en regard de l’évolution de la société française.
Les quelques remarques ci-dessous sont à prendre en compte pour qui veut
traverser les murailles.
Ces murailles…
… sont en partie dans
l’institution qui cloisonne plus ou moins différents territoires en
« cours », « orchestre », « musique de chambre »,
« pratiques collectives »… et permet / empêche, plus ou moins, que
les enseignants et les apprenants avancent, selon les projets, par porosité
entre les différents statuts du monde musical occidental.
Elles sont aussi en
partie dans la segmentation des enseignements qui a cours dès le collège et
nous renvoie à une conception de la formation construite comme une succession
de domaines de connaissances que l’élève parcourt d’heure en heure: un
gigantesque open-space parsemé de cloisons à mi hauteur qui isolent tout en
laissant filtrer un brouhaha institutionnel qui peine à faire sens.
Elles sont dans la
représentation dominante de l’enseignement en conservatoire qui focalise le
parcours d’apprentissage sur l’instrument et son professeur et conçoit les
pratiques collectives de groupes comme une mise en œuvre du cours instrumental.
Un supplément en quelques sortes.
Elles sont également incluses
dans la division du travail qui s’est développée depuis le XIXe siècle et l’hyperspécialisation
qui lui a fait suite jusqu’à aujourd’hui: à chacun sa place et sa tâche.
Elles sont enfin dans
la relation enseignant apprenant qui est imprégnée de cette structuration de la
société.
Cloisonner,
segmenter, diviser… l’organisation et les pratiques dans les lieux de
formation, dont les conservatoires, sont encore traversées par ces
constructions plus ou moins closes. La création des départements, pour prendre
cet exemple, n’a fait que déplacer cette réalité dans un cercle un peu plus
grand, mais entre partenaires de même famille se structurant sur les mêmes
fondements. Nombre de réunions de départements sont d’ailleurs axées sur le
choix des répertoires à jouer dans l’année à venir sans que ces choix ne soient
la conséquence d’un projet plus global centré sur les musiciens apprenants,
territoires à explorer et qu’il convient de peupler de musiques.
6. Un être parlant, un être social
Les murailles
délimitent un terrain et permettent de se développer dans un cadre protecteur.
Elles enferment également à la mesure des règles qui régissent la vie
individuelle et collective sur ce terrain. Les lisières sont ces brèches en friche,
ces landes ouvertes aux expérimentations non prévues par les régulations des
jeux emmurés. Elles peuvent dérouter mais aussi devenir des terrains riches de plantations variées et cultivées
collectivement. Et là est l’une des clés permettant de reconsidérer les buts et
organisations de l’enseignement: la parole exprimée et partagée collectivement,
mise au service d’expérimentations et de réalisations de projets individuels et
de groupes. Une parole acceptant de livrer aux regards des autres ce qui fait
sens dans les pratiques de chacun. Une parole accueillie dans le respect des
convictions de chacun et dans le projet de construire un projet d’établissement
qui ne soit ni l’addition de projets personnels ni l’empilement de projets de
départements. Une parole qui laisse entendre que l’enseignant ne sait pas tout
et que la coopération est nécessaire pour construire.
« Depuis
des mois, son mari disait à Coralie : « Sors de la maison, va voir des copines,
fais les magasins. » Ça a été les « gilets jaunes », au
rond-point de la Satar, la plus petite des trois cahutes autour de Marmande,
plantée entre un bout de campagne, une bretelle d’autoroute et une grosse
plate-forme de chargement, où des camions se
relaient jour et nuit…
…L’activité
des « gilets » consiste ici à monter des barrages
filtrants. Voilà les autres, ils arrivent, Christelle, qui a des enfants du
même âge que ceux de Coralie, Laurent, un maréchal-ferrant, André, un retraité attifé
comme un prince, 300 chemises et trois Mercedes, Sylvie, l’éleveuse de poulets.
Et tout revient d’un coup, la chaleur de la cahute, la compagnie des humains,
les « Bonjour » qui claquent fort. Est-ce que les «
gilets jaunes » vont réussir à changer la vie ? Une
infirmière songeuse : « En tout cas, ils ont changé ma vie. »
Le
soir, en rentrant, Coralie n’a plus envie de parler que de ça.
Son mari trouve qu’elle l’aime moins. Il le lui a dit. Un soir, ils ont invité
à dîner les fidèles du rond-point. Ils n’avaient jamais reçu
personne à la maison, sauf la famille bien sûr. « Tu l’as, ton nouveau départ. Tu es forte », a glissé
le mari. Coralie distribue des tracts aux conducteurs. « Vous n’obtiendrez
rien, mademoiselle, vous feriez mieux de rentrer chez vous »,
suggère un homme dans une berline. « Je n’attends rien de spécial. Ici, on fait
les choses pour soi : j’ai déjà
gagné. »
Gilets jaunes : la révolte des
ronds-points (Florence Aubenas – Le Monde
– 15 12 2018).
7. Une maison des musiques
« On fait les choses… ».
Voilà une situation de départ prosaïque, complexe mais prometteuse : un
groupe de musiciens (apprenants et enseignants) et qui agit (se rassembler pour
un projet commun). Un terrain d’expression (rond-point ou conservatoire). La
mise en route du projet par une démarche de co-construction qui redessine les
parcours. Situation semée d’embûches mais mobilisante.
Sensoricité, interprétation, variabilité et improvisations
invitent à créer un enseignement par ateliers pris en charge par des collectifs
d’enseignants à géométrie variable. Ils peuvent s’appuyer sur l’expression
vocale et corporelle par des règles collectives insistant sur l’intention partagée dans
la production sonore. L’apprentissage du code écrit peut s’intégrer dans la
séquence « imitation, imprégnation, transfert, invention » comme un
outil complémentaire ouvrant, notamment à la composition. Celui de l’instrument
est traversé par des face à face et des travaux de groupes…
8. Le pas de côté
C’est
la deuxième année (2018 et 2019) que je propose un stage de 2 jours et demi à
des étudiants en CEPI des Hauts de France. Cette année, huit musiciens se sont
réunis, dont certains déjà venus l’année précédente. Venant de pratiques des
musiques actuelles amplifiées, classiques et jazz, ils ont écouté des collectes
de chants traditionnels du Berry et du Limousin enregistrés entre les années 60
et 80. De simples monodies chantées dans une cuisine, à la maison par des gens
du pays, des paysans. Pas d’harmonies ni d’accompagnements. Seulement des voix
qui sculptent à leur manière des mélodies aux tempéraments et inflexions
inconnues de ces jeunes musiciens.
Entre
le relevé à l’oreille, le chant par imitation, le transfert sur l’instrument et
les règles d’improvisations proposées par mes soins, une énergie constante
s’est déployée. Le plus bel exemple à mes yeux étant l’intensité avec laquelle
ils se sont investis dans la réalisation de « bourdons vivants ». De
notes tenues mécaniquement sur les 1er et 5e degrés, ils sont peu à peu passés
à un écosystème accueillant les variations de timbres, le passage du continu à
l’itératif, les entrées et sorties par variations d’intensités… et tout cela
dans une belle écoute collective. Ces bourdons portent les improvisations et
l’on serait tenté de les prendre pour quantité négligeable. Ce ne fût pas le
cas, une conscience collective émergeante leur ayant offert un territoire à
habiter. Ils en sont tous ressortis avec la sensation d’avoir vécu une
expérience individuelle par la grâce du groupe et une expérience collective par
la présence active de chacun.
Je
vous laisse sur quelques extraits de leurs improvisations : il ne
s’agissait évidemment pas de se former à l’interprétation des musiques
traditionnelles du Berry ou du Limousin, mais plutôt de se saisir de
caractéristiques de ces musiques et d’autres pour explorer d’autres voix
d’improvisations.
Un
jeune musicien en CEPI au CRD de Calais interprète ensuite l’une des mélodies
du groupe précédent mais en solo et sur la musette berrichonne. La règle
d’improvisation par paraphrase est la même.
Un
paysage sonore, inséré dans un conte plus long, continue la vidéo. Il est mis
en jeu par les musiciens d’un ensemble à cordes pris en charge par une
professeure de violon classique, Florence Nivalle. Nous avons proposé, en plus
d’autres parties du conte, de se pencher sur la musicalité d’une forêt :
Ecoute d’un enregistrement en forêt et échanges ;
Ecoute dirigée. Repérer s’il y a:
une trame permanente dans le paysage ;
des événements répétés avec plus ou moins
d’espacements ;
des événements marquants, en rupture
S’approprier ces éléments par une imitation vocale.
Définir des caractéristiques du son ;
Transposer cela sur son instrument en ne retenant que les
enveloppes et textures du son et en laissant de côté l’imitation.
La trame
(sauterelles) est jouée/chantée tutti. Les événements répétés (moustiques et
bruits d’animaux dans les fourrés) sont pris en charges par plusieurs duos (un
moustique et un fourré). Quelques oiseaux apparaissent, solitaires. Des
démarches de déplacements sont inventées par chaque duo pour amener la
production sonore. Les deux productions sont au choix, tuilées, juxtaposées ou
avec une respiration intercalée.
Il est à
noter qu’une violoniste étant à la fois en formation de violons classique et
trad. C’est elle qui a transmis la bourrée finale avec les coups d’archet. Nous
en sommes à 13 séances au moment où cette première restitution s’est déroulée.
Et le premier bilan est très positif : tous les participants ont le
sentiment de construire un véhicule pour un voyage à inventer.
Enfin, un ensemble de cornemuses de cycle 1 (2 à 4 ans de pratiques selon) vous livre un jeu d’improvisation se basant sur un relais entre les deux premières incises d’une bourrée : SOL la si DO et RE mi FA. Le passage se fait en tuilage. Un jeu simple mais qui mobilise chez chacun une énergie et une concentration parfois insoupçonnées. Une découverte « engageante » pour la plupart.
[1] Le bricoleur est celui qui utilise des moyens
détournés, obliques, par opposition à l’homme de l’art, au spécialiste. Le
travail du bricoleur, à la différence
de celui de
l’ingénieur, se déploie
dans un univers
clos, même s’il
est diversifié. La règle est de faire avec les moyens du bord. Le
résultat est contingent, il n’y a pas
de projet précis,
mais des idées-force
: “ça peut
toujours servir, ça
peut fonctionner”. Les éléments
utilisés n’ont pas
un emploi fixe,
encore moins prédéterminé : il sont ce qu’ils sont, à cet
instant-là, tel qu’il est perçu, désiré, en relation avec d’autres
éléments, opérateur d’une
opération particulière. Pour
le bricoleur, un cube de bois peut être cale, support,
socle, fermeture, coin à enfoncer, etc. Il peut être matière simple
ou instrument, son
utilité dépend d’un
ensemble. L’adéquation d’un bricolage peut évoquer le hasard
objectif des surréalistes.
Pour faire suite aux articles consacrés au chant par onomatopées et aux objectifs recherchés, vous trouverez ci-dessous un lien vous permettant de télécharger un document résumant la démarche et proposant des figures de rythmes prêtes à être découpées et utilisées. N’hésitez pas à proposer des retours d’expériences critiques, des adaptations personnelles… que je publierai volontiers.
1984: une classe de musiques traditionnelles autour des musiques et cornemuses du « Centre France » est créée à l’École Nationale de Musique et de Danse de Calais. Je me retrouve dans un milieu qui m’est en grande partie étranger, n’ayant pas suivi de formation institutionnelle. J’interviens cependant déjà dans le cadre du « Musicaire », association hébergée par l’ENMD, qui s’occupe de formation pour adultes et ce depuis quelques années. Les intervenants sont des enseignants de l’ENMD. J’y ai donc quelques contacts.
Eric Sprogis, Marie-Claude Segard, Jean-Robert Lay, directeurs successifs, m’encouragent à développer des pratiques alternatives à celles dominantes dans l’institution, pratiques que j’estimerai cohérente avec mon domaine d’expression et d’enseignement, avec les sources sur lesquelles je construis mon projet.
J’aborderai ici la problématique de la Formation Musicale (souvent et encore appelée cours de solfège à l’époque, la réforme ne datant que de 1977). Sans en être un spécialiste, une contradiction m’est vite apparue: quel lien créer entre, d’une part une pratique orale (ce que je résume à l’époque par « de bouche à oreille ») d’une musique traditionnelle dans sa variabilité (ne serait ce qu’ornementale) et, d’autre part un apprentissage des musiques occidentales de tradition écrite où la reproduction d’un modèle est la norme (même si cette norme est illusoire, mais c’est un autre débat) et l’utilisation du code écrit une évidence. Comment créer des liens entre ces deux conceptions et qui fassent sens pour les élèves? N’ayant pas la réponse à ce moment, je m’attelais à construire un cours de « FM Trad. »
La scolarisation d’une pratique: le vers est dans mon fruit !
Je crée donc de toutes pièces un cours de FM trad. sur un créneau d’une heure. Cette forme est directement inspirée des formes scolaires (conservatoires, écoles mais aussi ateliers hebdomadaires associatifs) et me paraît à l’époque « naturelle » tant l’organisation sociétale des moments de formation et de loisirs se calque majoritairement sur ce modèle.
Mais, plus insidieux, je commence à construire un programme raisonné pour une FM qui se doit d’apporter aux élèves des éléments de culture par le biais d’écoutes de collectes et de groupes actuels. Elle doit aussi permettre de comprendre et connaître les rythmes à danser et modes qui composent notre répertoire, les formes et structures que nous sommes appelés à rencontrer… Je fais donc une liste qui devient programme et conçoit bientôt un cours que je construis en partant du plus simple pour aller au plus complexe. C’est bien après que j’ai réalisé que j’étais dans une vision mécaniste de l’enseignement: les élèves doivent connaître un panel de savoirs que j’estime indispensable à leur pratique. Je leurs transmets, ils les apprennent ! Cette « programmation » de l’enseignement, si elle lui donne un cadre utile d’un point de vue didactique, porte en germe le risque de le figer en partie au nom d’un déroulé linéaire de contenus à transmettre. Cette conception centrée sur le programme parasite les évolutions potentielles inscrites dans une démarche encourageant les apprenants à faire preuve d’initiatives. Elle ne favorise pas autonomie et émancipation.
Cependant, il s’agit de musique (et danse qui intervient très rapidement dans ce cours) traditionnelle. Nous nous imprégnons donc des répertoires en les chantant, dansant et souvent les deux à la fois par le chant à danser. La transposition sur instrument complète ce travail. Cherchant à musicaliser le chant rythmique, je développe plus tard un vocabulaire d’onomatopées qui peut se traduire en solfège rythmique[2]. Bref, je me sens en accord avec ce cours de FM Trad. Et ressens comme une modernité d’aborder le programme par le biais du Graal de l’époque: l’oralité. Cette oralité, qui se résume alors souvent à la transmission de bouche à oreille, est ma justification pour valider ce cours comme cohérent avec l’univers des musiques traditionnelles.[3]
Mais le résultat est mitigé. J’emmène déjà souvent les jeunes musiciens (je n’ai comme élèves que des enfants et jeunes adolescents pendants les années 80 et début 90) jouer en extérieur à l’occasion de manifestations très diverses: inauguration d’école, journée sans voiture, exposition au musée, fête maritime, portes ouvertes, manifestations festives variées sur Calais, festivals locaux, fêtes de villages, répartis sur le Nord Pas de Calais… Cette vie musicale ouverte sur l’environnement proche et lointain entre en contradiction avec ce cours où l’on dissèque rythmes, échelles, structures… comme à l’école ! En 2000, je mets en place deux bals folks par an en demandant au groupe invité d’accueillir des élèves sur scène comme musicien(s) éphémère(s) du groupe. Ce dispositif existe toujours[4] et renforce une dynamique musicale qui fait d’autant plus ressortir l’aspect statique de mon cours de FM (même si l’on y chante, danse et joue). Par ailleurs, l’écoute de collectes effectuées auprès de musiciens de tradition est souvent laborieuse, les élèves n’étant pas attirés de prime abord par ces enregistrements qui crachotent et où l’on entend un soliste, sans accompagnement aucun. Pour autant, je continue, n’étant pas en conscience de ces contradictions.
Je m’éveille[5] à de multiples paysages sonores de façon aléatoire et sans plan préétabli
Je m’initie parallèlement aux improvisations: sur grille harmonique mais aussi « générative – libre » avec Alain Savouret, libre avec Patrick Scheyder ou sur basse obstinée avec Christine Vossart. Je pratique par ailleurs les objets sonores et développe le goût du son chez Cric Crac Compagnie – http://www.criccraccie.com/ – et ce depuis les années 80. J’écoute davantage de collectes enregistrées chantant et jouant par dessus tel un bricoleur du son. Je pense de plus en plus à intégrer ces découvertes et expériences dans le parcours de formation que je retravaille annuellement à cette époque.
Je me lance et intègre des moments d’improvisations dans le temps collectif qui peut s’y prêter le plus facilement : le cours de FM Trad. Je commence par des propositions proches des objets de musiques traditionnelles. Il s’agit par exemple d’improviser sur un rythme de danse déjà connu et ce par le biais du dispositif suivant: un groupe de musiciens en cercle, un danseur ou plusieurs au centre. Le danseur exécute un pas en boucle. Chaque musicien produit des phrases sur ces pas en cherchant à respecter rythme et carrure. Lorsqu’il a terminé (quand il le souhaite ou après un nombre de phrases données) l’ensemble des musiciens interprète un refrain qui s’intercale entre chaque improvisation et redonne un cadrage pour la prestation suivante. Chacun est danseur à tour de rôle. Je développe, seul ou avec l’aide de collègues, d’autres règles : improvisation sur une quinte en installant une intention, « modulation » d’une phrase (ce qui consiste à faire évoluer le mode et non pas à changer de tonalité)… Bientôt j’en emprunte également à la littérature d’éveil musical, à celle de compositeurs contemporains qui se penchent sur l’enseignement…
Un trio se créée avec Christine Vossart (flûtiste à bec enseignante), Yannick Deroo (percussionniste enseignant) et moi-même qui propose un atelier nommé « Groupe et Création ». Nous y abordons différentes formes d’improvisations (modale, libre, sur basse obstinée, sur réservoirs écrits…) dans le but d’élargir le spectre d’expériences ouvertes des musiciens apprenants. Nous déclinons ce projet pendant plusieurs années, passant des cycles 1 aux cycles 2 et 3, aux CEPI. Ces travaux participent à enrichir mon enseignement. J’y diversifie les propositions, travaillant sur le son et l’organisation des productions sonores entre elles : le cours de « FM trad. » n’est plus toujours, à première vue, « trad. » mais il est bien « FM » !
Au sein de ces dispositifs, les élèves deviennent de plus en plus apprenants. Ils s’emparent de ces ouvertures même lorsque les débuts sont difficiles et que les peurs semblent l’emporter. Je les encourage à persévérer lorsqu’ils dépassent la règle initiale pourvu que ce soit dans un processus en conscience et le fruit de l’expérimentation. L’auto-évaluation se développe. De l’enseignement ludique de connaissances, je passe peu à peu à la proposition de situations ouvertes dont je demande aux élèves de s’emparer. Par exemple….,
…. Expérimenter collectivement l’instrumentation d’une mélodie connue, insérer un contraste, une rupture importante par le jeu des timbres, de la dynamique… Ou explorer des qualités du son (lisse, granuleux, complexe, attaques abruptes ou molles…) à travers la voix en puisant dans des textes variés puis transposer cela sur son instrument. Ou improviser sur le mode d’une mélodie afin de créer une ouverture non mesurée exposant les tournures modales du thème. Ou créer une polyrythmie vocale par onomatopées sur laquelle un instrumentiste posera sa mélodie. Ou créer un chant à danser respectant rythmes et carrures des phrases. Ou improviser en duo et sur un chant les intentions, caractères de son choix sous la forme d’une joute vocale. Un chœur formant un rond tient un ostinato bourdonnant pendant ce temps… Je sépare souvent en 2 ou 3 groupes qui expérimentent de leurs côtés et reviennent confronter leurs trouvailles.
Un atelier de bricolage sonore pour l’enseignement et l’apprentissage du musical
Le cours ressemble à présent à un atelier d’expérimentation musicale collective, support à des écoutes, à l’émergence de connaissances touchant autant à la culture musicale qu’à des éléments constitutifs de la construction mélodico rythmique ou harmonique et plus largement aux éléments dynamiques de la musique. Et surtout un lieu d’expression, de coopération et de débats quant aux résultats souhaités par le groupe. Étant également professeur d’instrument, je fais le lien lors de cours individuels ou en petits groupes. La FM est alors un réservoir de situations musicales mettant les apprenants en « action – recherche – confrontation – évaluation » dans l’intention d’atteindre collectivement l’objectif assigné. L’enseignant propose des outils afin de débloquer les situations si besoin est. Il aide à mettre des mots sur les productions sonores afin de les traduire en connaissances permettant à l’apprenant de développer interprétation, improvisation et création, seul et avec d’autres. Les projets transversaux participent à cette démarche. De manière générale, le groupe est un puissant moteur. Il permet de construire un objet « approprié »[6] en bricolant à partir d’éléments apportés par chacun, apprenants comme enseignants. Et les témoignages du passé issus de collectes en Berry s’insèrent simplement, « naturellement » comme une brique supplémentaire apportée au projet en cours !
Cette évolution de mon projet d’enseignement m’a également aidé à toucher du doigt le risque de ghettoïsation inhérent à la notion de département. Non que le département n’ait pas de sens en soi. Il peut cependant encourager à une forme de repli sur une esthétique, un mode de pratique, un pupitre. Et tourner le dos à ce qu’un conservatoire peut offrir de meilleur aujourd’hui : être une maison des musiques et des pratiques musicales.
La Formation Musicale, espace de solidarité et d’émancipation
Aujourd’hui cet atelier qui est empli d’outils et de matières sonores, fruit des expériences de chacun et du collectif, pourrait, pris en charge par une équipe d’enseignants, devenir un atelier de « formation musicale générale » (son nom officiel par ailleurs) où les apprenants expérimenteraient des pratiques et esthétiques diverses, trouvant le sens dans ce qui rassemble les vécus musicaux : le goût du son, l’organisation du temps musical, l’intention du musicien dans ses choix, la recherche de modes de pratiques, d’un vivre ensemble dans un espace sonore.
Cette réflexion m’amène à militer pour un parcours de formation regroupant « atelier de formation musicale générale » pris en charge par des équipes enseignantes travaillant dans l’interdisciplinarité. Des « ateliers de formation musicale spécialisée » et des « ateliers de formation musicale instrumentale » (FMI : dénomination proposée au CRR de Poitiers) complétant ce dispositif. Repenser le conservatoire dans une dynamique s’appuyant sur les valeurs de solidarité et d’émancipation. Une dynamique d’éducation populaire. Une utopie d’hier pour aujourd’hui et demain.
Michel Lebreton – 01 2018
Post Scriptum : Merci aux initiateurs et organisateurs des « Assises de l’enseignement de la formation musicale 1977-2017, 40 ans, l’âge de raison ? »[7]. Ce rassemblement m’a porté et poussé dans mon analyse de pratiques jusqu’à la rédaction de ce texte, entamé peu de temps auparavant et éclos dans les semaines qui ont suivi.
ANNEXES
Le bricolage…
« Dans l’Introduction de La Pensée Sauvage, Levi-Strauss insiste sur le sens du bricolage. Au sens premier, bricoler évoque les jeux de la balle, de la chasse, de l’équitation, qui vont aboutir à un mouvement incident : la balle qui rebondit, le chien qui bifurque, l’écart du cheval. Le bricoleur est celui qui utilise des moyens détournés, obliques, par opposition à l’homme de l’art, au spécialiste. Le travail du bricoleur, à la différence de celui de l’ingénieur, se déploie dans un univers clos, même s’il est diversifié. La règle est de faire avec les moyens du bord. Le résultat est contingent, il n’y a pas de projet précis, mais des idées-force : “ça peut toujours servir, ça peut fonctionner”. Les éléments utilisés n’ont pas un emploi fixe, encore moins prédéterminé : ils sont ce qu’ils sont, à cet instant-là, tel qu’il est perçu, désiré, en relation avec d’autres éléments, opérateur d’une opération particulière. Pour le bricoleur, un cube de bois peut être cale, support, socle, fermeture, coin à enfoncer, etc. Il peut être matière simple ou instrument, son utilité dépend d’un ensemble. L’adéquation d’un bricolage peut évoquer le hasard objectif des surréalistes.
L’ingénieur est différent du bricoleur : il interroge l’univers, alors que l’autre s’adresse à lui, comme à une collection de résidus d’ouvrages humains qui font déjà partie de la culture humaine. L’ingénieur, utilisant un savoir déjà-là, cherche à s’ouvrir à un au-delà, le bricoleur par ruse, de gré ou de force, se situe en un en-deçà. Tandis que le premier opère par concepts, le second opère par signes. »
« L’Atelier désigne le lieu d’exercice d’un métier manuel et par extension l’équipe ou la technique mise en place.
1.1.2. C’est l’avènement conjoint d’une pédagogie active et d’une pédagogie coopérative qui suscite l’atelier scolaire.
Célestin FREINET crée les « Ateliers Scolaires », équipes d’enfants chargées d’éditer des journaux scolaires et de mettre en place une correspondance inter-école.
Ce terme est aussi utilisé pour parler d’ateliers d’artisanat scolaire (liaison avec les activités manuelles) ou d’initiatives de création (théâtre, chorale …) Terme essentiellement lié au travail d’équipe, ou en équipe.
1.1.3. D’où deux définitions relatives soit au lieu d’exercice, soit à l’équipe de travail.
Mialaret (Vocabulaire de l’Education. PUF) : « Atelier scolaire, groupe d’élèves organisant, à la façon des adultes, leur espace, leur temps, leurs moyens de travail, en vue de créations concrètes ».
Lafon (Vocabulaire de psychopédagogie) : « Lieu où s’exerce une activité manuelle, à caractère concret, à portée éducative (d’apprentissage) ou productive ».
1.1.4. Dans le Vocabulaire de l’Education, sous la rubrique « Ateliers pour activités diverses », Mialaret précise : « Le terme atelier n’est pas pris dans son sens de « local pour travail manuel »: il correspond à une formule pédagogique de TRAVAIL INDEPENDANT, de toute nature, soit par petits groupes, soit individualisé ».
« Ce type d’espace répond à une conception… en France… d’activités impliquant une recherche ou une expérimentation par les élèves, leur permettant de communiquer entre eux, d’accéder librement au matériel éducatif ou à la documentation, de travailler de façon plus autonome en général… Ceci requiert du maître, un rôle de guide et de conseiller intermittent »
(Iufm de Nice, Centre de Draguignan, Département de Philosophie et Sciences de l’Education, JC Charnet.)
Ensemble de leçons, de conférences données par un professeur et formant un enseignement : Le cours d’histoire, de dessin.
Enseignement donné suivant un horaire déterminé à l’intérieur de l’institution scolaire ou universitaire ; contenu de cet enseignement : Le cours de français porte sur le XVIIe et le XVIIIe s.
Chacune des leçons, des conférences dont l’ensemble représente un enseignement : Le cours avait lieu à dix heures.
Enseignement donné dans un domaine d’activité quelconque ; leçon : Cours de ski.
Manuel traitant d’une matière déterminée : Acheter un cours polycopié.
Division correspondant à un degré déterminé d’enseignement : Cours préparatoire. Cours élémentaire. Cours moyen.
Appellation de certains établissements privés d’enseignement.
NOTES
[1] « Le vers dans le fruit », parole attribuée à Maurice Fleuret lors de l’introduction des musiques actuelles dans les conservatoires au début des années ‘80. Je n’en ai cependant pas trouvé la source.
Certaines mélodies traditionnelles sont construites sur des échelles de peu de degrés. Cela n’enlève rien à leur beauté mais ouvre des perspectives d’improvisations particulières. Je vous propose d’explorer cette piste à partir de cet air de bourrée « Je mène les loups ».
La partie A s’articule sur deux formules :
L’une autour du RÉ : RÉ do RÉ mib
L’autre autour du DO : DO ré DO sib avec une terminaison ouverte la 1ère fois (DO sib) et fermée la seconde (DO)
La première incise de la partie B s’appuie sur la quarte DO sol en faisant apparaître le SI bécarre sur une durée longue. La seconde moitié des deux phrases propose :
Une première formule articulée sur le DO : DO si DO ré mib avec une terminaison ouverte sur le Ré
Une seconde formule qui affirme le DO comme degré fondamental : DO ré mib ré DO
L’ensemble de ces tournures entretient une ambiguïté quant à la quinte structurant cette mélodie. La présence insistante du Ré incite notamment à poser SOL – RÉ comme cette quinte alors que nous sommes bien sur une tonique de DO. L’absence de la quinte SOL à l’aigu du DO accentue cette perception de premier abord.
En résumé, nous sommes face à une mélodie constituée de deux modes, à savoir :
DO ré MIb ré DO sib DO avec une formule qui s’appuie sur le second degré Ré ;
SOL DO si DO ré MIb ré DO avec un si bécarre qui est en rapport avec le SOL et le DO mais pas avec le Ré.
Cette manière d’envisager la modalité me permet de m’attacher aux chemins mélodiques spécifiques de chaque thème et d’improviser ainsi au plus près de leurs caractéristiques. La seule dénomination « mode mineur sur DO avec note mobile (si) » ne m’encourage pas à cette précision, ouvrant la porte à des improvisations sur des échelles faisant plus ou moins abstraction du profil de cette bourrée.
PISTES D’IMPROVISATIONS :
J’ai exploré une improvisation en trois cycles sur la base de cette mélodie et de ses deux modes :
1er cycle : improviser sur les seules échelles modales en présence. Afin de sortir de la paraphrase, je propose de déplacer peu à peu les degrés qui attaquent l’incise, la phrase ainsi que les rapports d’intervalles qui en découlent. Ainsi, déplacer le pôle d’attraction en début de A sur le sib ; appuyer l’intervalle mib – sib ; faire disparaître temporairement le DO… Mettre en relation le SOL et le RE dans la partie B en passant par le si bécarre ; s’appuyer sur l’intervalle SOL mib ; arriver au si bécarre par mib… Les possibilités sont plus nombreuses que l’on pourrait le supposer.
2e cycle : faire apparaître les degrés absents de la mélodie, à savoir les 4e (FA) et 6e (LA) et développer une improvisation sur cette échelle de SOL à FA (éventuellement jusqu’à l’octave SOL). Encore faut il faire des choix : FA ou FA# ? LA ou LAb ? FA et FA# ? LA et LAb ? Ces possibilités ouvrent de nombreuses pistes. J’ajoute à cette règle l’interdiction de faire des chromatismes. Si un musicien choisit les FA et FA# par exemple, il les mettra en jeux dans des relations d’intervalles différentes (quelques exemples présents sur les enregistrements qui suivent illustrent cela: ré FA mib, sol FA ré mib, ré sol aigu FA# mib, ré FA# sol aigu, sol si do sol lab…). Mais aussi faire du FA# le degré supérieur qui s’articule avec d’autres degrés graves (ré ré FA# mib, sol si do ré si FA# …) et chercher d’autres chemins s’articulant sur le LA ou le LAb.
3e cycle : ouvrir sur les octaves supérieures et inférieures en conservant les logiques précédentes.
Le premier enregistrement est déjà présent dans l’article « en suivant la danse ». Je vous le propose de nouveau à la lumière des éléments ci-dessus qui faisaient partie du travail abordé. Les différences de niveaux de compétences des participants de mes ateliers expliquent les choix fait par chacun lors de cette restitution. Pour des raisons de durée de la prestation, chaque musicien a choisi un cycle pour son passage. Ainsi :
La première musicienne improvise sur les deux modes de la mélodie ;
Le deuxième intervenant joue avec le SOL aigu et le FA bécarre, essentiellement par degrés conjoints avec un final coloré FA – DO ;
Le troisième fait apparaître le LA grave ;
…
Le dernier ouvre largement.
Le second enregistrement fait partie de ma collection « Miniatures Sonores – Cornemuses improvisées » que vous pouvez retrouvez ici :
Il développe en duo le même thème, terminant le jeu par une mélodie en SOL qui expose les degrés apparus peu à peu au cours des improvisations.
UNE MODALITE SINGULIERE
Cette démarche m’amène à considérer chaque mélodie comme une mise en modalité singulière. Nous allons bien sûr retrouver des profils plus ou moins proches dans des familles mélodiques de même couleur. Le but est alors de mettre l’accent sur ce qui est propre à chacun de ces airs. Et d’improviser mélodiquement au sein d’un paysage exploré et reconnu.
Le renouveau des pratiques de danses, que ce soit sous forme d’ateliers, de stages, de bals modèle fortement l’enseignement des musiques traditionnelles du domaine français. Les répertoires transmis, s’ils incluent parfois des chants, sont essentiellement des airs instrumentaux à danser. La dynamique, la métrique de la danse deviennent de fait des points de repères dans l’élaboration du jeu instrumental. Ces mêmes éléments peuvent structurer des jeux d’improvisations. Dans ce cas, l’improvisation participe de la formation du musicien. Elle nécessite et développe tout en même temps une sensoricité et une connaissance permettant d’interpréter ces danses dans le respect de leurs élans, de leurs respirations. Ces jeux d’improvisations « en suivant la danse » sont avant tout construits sur des règles rythmiques.
La pratique de répertoires par le chant, la danse, par le jeu d’onomatopées et le jeu instrumental permet de dégager peu à peu ce qui fait que l’on « est » dans une scottish ou une bourrée et qu’il n’y a pas confusion possible entre les deux. Cette imprégnation est nécessaire avant de se tourner vers l’improvisation dansante.
Cette démarche d’improvisation peut se développer en plusieurs étapes simultanées :
En groupe, une partie des participants danse pendant que les autres improvisent à tour de rôle. La durée de leurs productions est réglée au préalable en prenant comme repère un ou plusieurs groupes moteurs de la danse abordée. Par exemple, huit ou seize pulsations de scottish qui correspondent à un ou deux pas complets. Lors des premiers essais, je propose une phrase refrain reprise en tutti entre deux improvisations. Cette phrase est à la fois un rendez-vous collectif et une matrice donnant à chacun l’identité rythmique à suivre lors de son improvisation (je n’ai pas d’enregistrement de cette étape).
Voici un exemple enregistré en atelier de pratiques collectives. Nous avons abordé le cotillon vert (scottish valse):
J’ai proposé ici d’improviser sur la partie scottish (AA). Pour information, mes ateliers de pratiques collectives sont ouverts à tous les musiciens du CRD, à des niveaux de compétences variés (cycles 1, 2 et 3). Vous allez donc entendre un guitariste de jazz qui cherche sa voie, une violoniste classique, une flûtiste à bec de la classe de musique ancienne… Le mode n’est pas toujours respecté mais je n’ai donné, à ce stade, aucune consigne en la matière afin que chacun se concentre sur la danse. Imaginez un cercle de musiciens qui s’exercent à improviser à tour de rôle en regardant un ou plusieurs danseurs au centre du cercle.
Et voici un essai de structure collective. Elle a été fixée jusqu’à la modulation et le chant. Elle est ensuite libre, les deux seules consignes étant de ne pas monopoliser l’espace sonore et de réagir en complémentarité ou en opposition à ce qui se passe.
Un autre exemple lors d’un bal au sein du CRD sur une base de branle double.
En solo, lors de moments en face à face. Je joue une rythmique sur une percussion. Le musicien expose la mélodie puis propose une improvisation respectant au mieux mouvement, rythme, carrure et structure de la danse. Voici un exemple à partir d’une bourrée composée par Yvon Guilcher : Je mène les loups.
Et voici un extrait en concert au moment ou les musiciens vont exposer leurs improvisations respectives. La première improvisatrice est celle qui joue dans l’enregistrement précédent.
Ces travaux visent à la fois à mettre les apprenants en situation d’émancipation, à produire de l’imprévu mais aussi à leurs faire toucher au plus proche ce qui constitue l’identité musicale de telle ou telle danse.
« Une simple formule métrico-rythmique maigre en substance musicale et dont l’exécution s’accompagne de contraintes modales, tonales ou mélodiques plus ou moins précises peut avoir une fonction de modèle. C’est le cas notamment dans la musique de danse où les pas des danseurs, constituant des structures strictement périodiques, fournissent un cadre à l’improvisation étroitement délimité dans le temps. Sauf exception cependant, cette mesure n’est pas un cadre vide (en d’autres termes, une pulsation ou un ensemble de pulsations indifférenciées) ; elle comprend des implications tonales accentuelles aptes à être perçues et transposées par les danseurs en gestes combinés et en mouvements ». Lortat Jacob 1987 – Improvisation : le modèle et ses réalisations in Ethnomusicologie 4 SELAF page 47.