Michel Lebreton
Département de musiques traditionnelles
CRD DE CALAIS
Le renouveau des pratiques de danses, que ce soit sous forme d’ateliers, de stages, de bals modèle fortement l’enseignement des musiques traditionnelles du domaine français. Les répertoires transmis, s’ils incluent parfois des chants, sont essentiellement des airs instrumentaux à danser. La dynamique, la métrique de la danse deviennent de fait des points de repères dans l’élaboration du jeu instrumental. Ces mêmes éléments peuvent structurer des jeux d’improvisations. Dans ce cas, l’improvisation participe de la formation du musicien. Elle nécessite et développe tout en même temps une sensoricité et une connaissance permettant d’interpréter ces danses dans le respect de leurs élans, de leurs respirations. Ces jeux d’improvisations « en suivant la danse » sont avant tout construits sur des règles rythmiques.
La pratique de répertoires par le chant, la danse, par le jeu d’onomatopées et le jeu instrumental permet de dégager peu à peu ce qui fait que l’on « est » dans une scottish ou une bourrée et qu’il n’y a pas confusion possible entre les deux. Cette imprégnation est nécessaire avant de se tourner vers l’improvisation dansante.
Cette démarche d’improvisation peut se développer en plusieurs étapes simultanées :
- En groupe, une partie des participants danse pendant que les autres improvisent à tour de rôle. La durée de leurs productions est réglée au préalable en prenant comme repère un ou plusieurs groupes moteurs de la danse abordée. Par exemple, huit ou seize pulsations de scottish qui correspondent à un ou deux pas complets. Lors des premiers essais, je propose une phrase refrain reprise en tutti entre deux improvisations. Cette phrase est à la fois un rendez-vous collectif et une matrice donnant à chacun l’identité rythmique à suivre lors de son improvisation (je n’ai pas d’enregistrement de cette étape).
Voici un exemple enregistré en atelier de pratiques collectives. Nous avons abordé le cotillon vert (scottish valse):
J’ai proposé ici d’improviser sur la partie scottish (AA). Pour information, mes ateliers de pratiques collectives sont ouverts à tous les musiciens du CRD, à des niveaux de compétences variés (cycles 1, 2 et 3). Vous allez donc entendre un guitariste de jazz qui cherche sa voie, une violoniste classique, une flûtiste à bec de la classe de musique ancienne… Le mode n’est pas toujours respecté mais je n’ai donné, à ce stade, aucune consigne en la matière afin que chacun se concentre sur la danse. Imaginez un cercle de musiciens qui s’exercent à improviser à tour de rôle en regardant un ou plusieurs danseurs au centre du cercle.
Et voici un essai de structure collective. Elle a été fixée jusqu’à la modulation et le chant. Elle est ensuite libre, les deux seules consignes étant de ne pas monopoliser l’espace sonore et de réagir en complémentarité ou en opposition à ce qui se passe.
Un autre exemple lors d’un bal au sein du CRD sur une base de branle double.
- En solo, lors de moments en face à face. Je joue une rythmique sur une percussion. Le musicien expose la mélodie puis propose une improvisation respectant au mieux mouvement, rythme, carrure et structure de la danse. Voici un exemple à partir d’une bourrée composée par Yvon Guilcher : Je mène les loups.
Et voici un extrait en concert au moment ou les musiciens vont exposer leurs improvisations respectives. La première improvisatrice est celle qui joue dans l’enregistrement précédent.
Ces travaux visent à la fois à mettre les apprenants en situation d’émancipation, à produire de l’imprévu mais aussi à leurs faire toucher au plus proche ce qui constitue l’identité musicale de telle ou telle danse.
« Une simple formule métrico-rythmique maigre en substance musicale et dont l’exécution s’accompagne de contraintes modales, tonales ou mélodiques plus ou moins précises peut avoir une fonction de modèle. C’est le cas notamment dans la musique de danse où les pas des danseurs, constituant des structures strictement périodiques, fournissent un cadre à l’improvisation étroitement délimité dans le temps. Sauf exception cependant, cette mesure n’est pas un cadre vide (en d’autres termes, une pulsation ou un ensemble de pulsations indifférenciées) ; elle comprend des implications tonales accentuelles aptes à être perçues et transposées par les danseurs en gestes combinés et en mouvements ». Lortat Jacob 1987 – Improvisation : le modèle et ses réalisations in Ethnomusicologie 4 SELAF page 47.